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'901
Lemieux, F*-X«
Mariage clandestin des
catholiques.
U dVof OTTAWA
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3900301092586^
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in 2011 with funding from
University of Toronto
http://www.archive.org/details/lemariageclandesOOIemi
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LE
MARIAGE CLANDESTIN
DES CATHOLIQUES
DE-V^ITT XjA. loi IDJJ T>A.-TS
DICTUM DE M. LE JUGE F.-X. LEMIEUX
Jnge de la Conr Supérieure A Sherbrooke
EN KOUR DE REVISION A MONTREAL, \T MAI 1901
SUIVI DE
QUELQUES ARTICLES ANALYTIQUES |
PAR
M. l'abbé ELIE-J. AUCLAIR, S.T.D. et J.C.D.
Du Séminaire Saint-Charles-Borromée à Sherbrooke
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MONTREAL
ARBOUR & LAPERLE, imprimeurs-éditeu
419 ET 421, RUE SAINT-PAUL
1901
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LE
MARIAGE CLANDESTIN
DES CATHOLIQUES
DICTUM DE M. LE JUGE F.-X. LEMIEUX
Jng'e de la Conr Supérieure A Sherbrooke
EN EOUR DE REYISION A MONTREAL, IT MAI 1901
SUIVI DE
QUELQUES ARTICLES ANALYTIQUES
PAR
M. l'abbé ELIE-J. AUCLAIR, S.T.D. et J.C.D.
Du Séminaire Saint-Charles-Borromèe à Slierbrooi<e
MONTREAL
ARBOUR & LAPERLE, imprimeurs-éditeurs
419 ET 421, RUE SAINT-PAUL aTK'
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1901
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Enregistré conformément à l'acte du Parlement du Canada, en l'an 1901,
par M. l'abbé Elie-J. Auclair, ptre, au Ministère de l'Agriculture.
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LE
MARIAGE CLANDESTIN
DES CATHOLIQUES
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AVIS AU LECTEUR
»
iLN présentant au public lettré canadien-français l'opuscule
que voici, nous avons conscience de faire une œuvre
utile.
La question du mariage, en notre pays, a été récemment agitée
de bien des forons. La bonne foi et l'intention droite peuvent
sans doute expliquer, jusqu'à un certain point, des attitudes
d'ailleurs regrettables ; mais il convient de mettre à la portée de
tous ceux qui s'intéressent à la prospérité nationale, les documents,
dont, à l'occasion ils pourraient avoir besoin j)0ur défendre des
droits qui nous sont chers à juste titre.
— G —
Au reste, nous n'avons nullement la prétention de servir du
neuf. Siiupleriient, nous présentons à nos compatriotes, sous un
format commode, un document que nous croyons être des plus
importants pour les intérêts catholiques.
Il s'agit du dictiitii, que nous publions in extenso, de M.
le juge F.-X. Lemieux, cassant et revisant, en cour de
Révision à Montréal (17 mai 1901), en son nom et au nom de
ses collègues, les Honorables juges Mathieu et Curi'an, le
jugement de l'Honorable juge Lynch (de Bedford) dans la
cause Durocher vs Degré, et déclarant ainsi que, de par la loi, eu
notre Province, les catholiques doivent se marier devant leur curé
0^1 son délégué, et ce sous peine de nullité.
Il va sans dire que nous nous sommes muni, au préalable, de
la permission du savant juge de Sherbrooke, comme aussi de celle
de nos supérieurs ecclésiastiques.
A peine ce jugement avait-il été prononcé et publié dans les
grands journaux qu'il attirait à bon droit l'attention générale.
Beaucoup parmi nos légistes et nos publicistes de renom tinrent
à honneur de féliciter l'Honorable juge de la haute science légale
et du tact courtois, dont il faisait preuve dans son important
dichim.
Lu Seviaine religieuse de Montréal, qui se publie, on le sait,
avec l'approbation de Mgr Bruchési, donna bientôt, sous ce titre :
« Les catholiques doivent se marier devant leur curé », une courte
série d'articles analytiques, que nous nous dispenserons d'appré-
cier, pour la raison toute simple que nous en étions le signataire.
Ces modestes articles ont paru à plusieurs, qu'il nous soit per-
mis cependant de le dire, résumer fidèlement la doctrine légale
du savant magistrat et lui rendre en même temps un juste tribut
d'éloges.
On a remarqué que nos articles relevaient ça et là dans le dic-
tmn de M. le juge Lemieux quehiues inexactitudes de détail, ce
— 7 —
qui est une garantie que notre travail a été fait sérieusement.
Nous croyons donc utile de faire suivre la publication du dic-
tuin Lemieux de ces articles analytiques sur « les considérants du
juge Lemieux. » Ils aideront peut-être ceux qui sont moins fa-
miliers avec les choses du droit à mieux saisir la juste portée de
l'important document qu'est le dictiim. « Lemieux )).
Nous les donnerons, ces articles, in extaaso, tels qu'ils ont paru
dans la Semaine religieuse, les 3, 10 et 24 juin et 8 juillet der-
niers.
Nous estimons bien feire, en plus, en reproduisant, dans notre
opuscule, un document, qui est déjà dans le public, et dont la
haute valeur est sûrement incontestable. Nous voulons parler
d'un extrait d'une Lettre Pastorale, que Sa Grandeur Mgr l'ar-
chevêque de Montréal adressait à son clergé et à ses diocésains,
au lendemain du prononcé du jugement de l'Honorable juge
Archibald dans la fameuse cause Delpit-Coté.
A la lumière de ce magistral exposé de doctrine il sera plus
facile évidemment à nos compatriotes catholiques d'étudier et de
comprendre le dictum de M. le juge Lemieux.
Nous donnons cet extrait en forme de pièce supplémentaire.
*
* *
Nous avons confiance que cette compilation sera utile à nos
compatriotes.
Tout spécialement nous la signalons à l'attention des Messieurs
du Clergé et du Barreau. Ils y trouveront, les uns et les autres,
des documents qui se soudent et se complètent, en ce sens qu'ils
traitent la grave question du mariage clandenti/i sous ses diffé-
rents aspects légaux et religieux.
Nous nous permettons aussi de signaler respectueusement notre
publicatiou, et cela d'uue façon toute particulière, à la considéra-
tion de nos députés et de nos hommes d'état. Nos pères ont su
vaillamment protéger nos droits et nos libertés religieuses. Pour
une grande partie ils les ont fait inscrire dans le Code de nos
Lois. Nous avons raisons d'en être fiers et de le chanter aux
beaux jours de la fête nationale ! Mais aussi, à nos juges mainte-
nant d'appliquer nos Lois avec fermeté ! Mais aussi, à nos légis-
lateurs maintenant et à nos hommes d'état de conserver nos
Droits et de les protéger toujours !
Au reste, nous avons foi en la dignité de nos juges, en la vail-
lance et en l'énergie de nos députés, comme aussi en l'impartia-
lité de tous nos compatriotes de quelqu'origine qu'ils soient.
Enfin nous recommandons respectueusement notre compilation
à la lecture attentive de tous nos compatriotes instruits. A tous
ceux qui exercent une influence sur leurs concitoyens il appar-
tient de ne laisser jamais le courant de l'opinion publique s'égarer.
Ces questions de mariage qui ont tant mouvementé l'opinion
publique, l'hiver dernier, il ne faut pas qu'on les traite ni qu'on
permette de les traiter rien qu'avec du sentiment et des belles
paroles. Ce sont des questions de droit qui doivent se traiter de
par le droit, et au religieux, et au civil. Elles intéressent tous
ceux qui ont à cœur la prospérité et la vitalité nationales.
Pour nous catholiques il est nécessaire de connaître d'abord ce
que l'Eglise nous enseigne, mais il convieni que, comme citoyens
libres d'un pays libre, nous sachions l)ien aussi jusqu'oii et com-
ment la loi respecte nos droits religieux et nationaux.
C'est dans le but d'être utile donc, dans la mesure de nos
forces, à l'œuvre de la conservation de nos droits, que nous ott'rons
au public de notre pays cette compilation de grand intérêt et de
vivante actualité.
Nous dirons aussi, et ce sera notre dernier mot, que nous cro-
yons a.esez à l'esprit de justice de l'immense majorité des anglais
— 9 —
protestants du Canada pour espérer qu'où ne nous imputera pas
des intentions que nous n'avons i)as. Nous ne voulons et ne cher-
chons que la paix et le bien, dans le respect des droits de tous,
sous l'égide du drapeau qui garde nos destinées !
Gardant mes souvenirs, donnant ma loyauté,
Je m'en vais tressaillant de joyeuse espérance,
Ami de Dieu, mon maître, en toute liberté.
Je suis sujet anglais, mais toujours fils de France,
Klie-J. Auclair, ptre.
Sherbrooke, le 1er octobre 1901.
'^^^^
DICTUM DU JUGE LEMIEUX
EN COUK DE REVISION
Cour de Revision, Montréal
Présents : Les juges Mathieu, Curran et Lemieux
No 6605
DCKOCHER Jk al vs JOSEPH DEGRÉ
EXPOSE DES FAITS
L s'agit d'une action en séparation de corps et en nullité de
mariage, prise par la demanderesse contre son mari.
La séparation a été accordée par la cour de première
instance, qui a rejeté les conclusions relatives à la nullité du
mariage.
La demanderesse s'est inscrite en revision contre ce premier
jugement.
— 11 —
Le mari n'a pas comparu ni plaidé en cour de première ins-
tance, et n'a pas montré cause devant ce tribunal.
Les griefs de nullité du mariage sont <iu'il a été contracté en
fraude de la loi, aux Etats-Unis, pai' des mineurs sujets aux lois
du Bas-Canada, sans le consentement de leurs parents, sans avoir
été précédé des publications requises par la loi et devant un fonc-
tionnaire incompétent.
Il a été prouvé que les parties, dont le domicile était à Saint-
Alphonse de Granby, dans le district de Bedford étaient allées le
30 juin 1891, à East Franklin, dans le Vermont, situé sur les
confins de la province, où elles s'étaient mariées devant un ministre
qui s'intitule « Minister of the Gospel ». Elles sont revenues à
leur domicile, le lendemain de leur prétendu mariage.
Ce mariage eut lieu aux Etats-Unis, devant un officier (ji;i
n'était pas le curé des parties ou un prêtre le remplaçant, pour
éviter le consentement des parents et les publications requi->:'s
par la loi.
Les conjoints ont cohabité pendant quelques années et plu-
sieurs enfants sont nés de leur union. Ce n'est qu'en 1899 que la
demanderesse et son père se sont décidés à formuler, conjointe-
ment, les présentes demandes en nullité de mariage et en sépara-
tion de corps.
MARIAGE CLANDESTIN
Ce mariage était-il clandestin, dans la véritable acception du
mot, et, a t-il été contracté en fraude d'une loi d'ordre public ?
Les parties étaient allées se marier aux Etats- Lî^nis, avec le dessein
arrêté d'éviter les publications préalables, le consentement des
parents et l'officier compétent à les marier : toutes et autant de
— 12 —
conditions requises par les articles 128, 129 et 130 C.C'. qui énon-
cent que pour que le mariage soit légal et existant, il faut qu'il
soit célébré publiquement devant un fonctionnaire compétent,
savoir les prêtres, curés, ministres et autres fonctionnaires autori-
sés à tenir registres de l'état civil, et, après publications faites par
le prêtre, curé ou ministre, dans l'église à laquelle appartiennent
les parties.
Cet exposé succinct des faits fait voir que les conditions essen-
tielles à l'existence et ù la légalité du mariage n'ont pas été rem-
plies, et qu'une fraude à la loi a été commise.
FRAUDE A LA LOI PEUT-ELLE ETRE RATIFIEE
La question à décider est celle de savoir si telle fraude peut
être ratifiée, soit par la volonté des parties, soit par le laps de
temps ou la possession d'état.
Il ne faut pas confondre la fraude commise entre particuliers
et celle faite envers une loi d'ordre public.
Dans le premier cas, il est toujours permis à une partie de re-
noncer au recours qu'elle peut avoir contre une autre, par suite
d'une fraude commise à son préjudice. La partie frustrée ou
trompée peut ratifier et confirmer l'acte frauduleux fait à son dé-
triment. En un mot, elle peut valider ce qui, en principe, était
illégal et répudiable en loi. Dans ce cas, l'action en nullité ou en
dommages-intérêts peut être écartée par les fins de non-recevoir
résultant de la chose jugée, de la ratification et de la prescrip-
tion.
V. Laurent, vol 1, No 39.
Mais en est-il ainsi de la fraude à une loi d'ordre public 1
— 13 —
CVst une doctrine légale généralement admise que les actes
faits en fraude de telles lois sont radicalement et irréparablement
nuls et que toute partie est recevable à en faire prononcer la nul-
lité, contrairement à la règle concernant la fraude en matière
d'intérêt privé, qui dit que personne ne peut invoquer sa propre
turpitude ou sa fraude.
Les auteurs enseignent que les lois d'ordre public et d'intérêt
général sont impérieusement obligatoires pour tous. La fraude,
ayant pour objet de les éluder ou violer, est donc essentiellement
illicite. La volonté formelle du législateur proteste sans cesse
contre les actes qui s'en écartent, et empêchent qu'ils puissent
jamais acquérir le vinadum jaris, sans lequel, cependant, les con-
trats ne sauraient être exécutés. L'acte, fait en fraude d'une loi
d'ordre public, est atteint d'une nullité radicale, absolue, que la
partie elle-même est admissible à faire prononcer.
Une autre conséquence de la même règle est que l'acte nul n'est
susceptible d'aucune ratification. Celle dont exciperait le défen-
deur à la nullité, fut-elle expresse, ne saurait être accueillie et
fonder une fin de non-recevoir contre la demande. En effet, l'acte
radicalement nul n'a jamais eu d'existence légale, et on ne peut
ratifier ce qui n'existe pas, ce qui n'a jamais existé. Comment,
d'ailleurs, admettre qu'on puisse confirmer ce qu'on n'a pas eu le
pouvoir de faire % La ratification devient donc elle-même une
fraude à la loi d'ordre public, et, frappée du même vice que l'acte
primordial, elle devrait périr comme l'acte lui-même.
Une autre conséquence du principe que nous avons ci- dessus
rappelé est de rendre imprescriptible l'action fondée sur une
fi-aude à une loi d'ordre public. On ne peut acquérir le droit de
violer la loi, par la raison qu'on l'aurait violée plus ou moins
longtemps.
Bédarride, Du Dol et de la Fraxide, vol IV, Nos. 1811, 1812
et 1813.
— 14 —
Pothier, au vol. VI, No. 363, a})rès avoir parlé de la i^eine des
parties qui ont fait célébrer leur mariage par un prêtre incompé-
tent, s'exprime à ce sujet comme suit :
« Tout ce ({ue nous avons dit jusqu'à présent sur la nullité du
(( mariage célébré hors de la présence et sans le consentement du
« curé des parties, a lieu, quand même le mariage aurait été célé-
« bré en pays étranger par des Français, lorsqu'il parait que c'e.st
(' en fraude de la loi (qu'ils y sont allés. En vain diraient-ils que la
« forme des contrats se règle par les lois du lieu où ils se passent;
« que leur mariage ne s'étant pas iixit en France, mais en pays
(( étranger, ils n'ont pas été obligés d'observer les lois prescrites
« en France pour la forme de leur mariage. La réponse est que
« la célébration du mariage en face de l'Eglise par le propre curé
(( n'est pas une pure forme d'acte ; c'est une obligation que nos
(( lois imposent aux parties qui veulent contracter mariage, à
(I laquelle les parties, qui y sont sujettes, ne peuvent se soustraire,
'( en allant en fraude se marier dans un pays étranger ».
Laurent de son côté, au vol. III, p. 49, s'exprime ainsi :
(( Quoi ! on suppose que le mariage a été clandestin, qu'il a été
« célébré à l'étranger })ùur frauder la loi, et il faut le supposer,
« sinon la question ne peut être agitée ; et l'on veut que les tri-
« bunaux décident que ce mariage n'a pas été clandestin ! Et
(( pourquoi 1 Parceque, postérieurement au mariage, il y a eu
« possession d'état, c'est-à-dire publicité complète du mariage. Le
« législateur, sans doute, aurait pu déclarer que la publicité poa-
« térieure couvre le vice de clandestinité, mais il ne l'a pas fait,
« et le juge le peut-il dans le silence de la loi ? Non. Eh bien, ce
« qu'il ne peut faire directement, il ne le peut faire indirectement ;
« ce qu'il ne peut faire ouvertement, il ne le peut faire sournoise-
« ment, en disant que le vice n'existait pas, alors que réellement
« il existait ! ))
15
Nombre d'anêts confirmant la doctrine ci-dessus énoncée ont
été rendus en France, sous l'empire d'une législation presque
identique à la nôtre.
Ainsi, il a été décidé que le défaut seul de publications préa-
lables emportait nullité de mariages célébrés en pays étrangers,
lorsque cette formalité a été omise à dessein, et dans l'intention
de faire fraude à la loi française.
Tribunal de la Seine, 2 juillet 1872.
On y trouve aussi l'arrêt suivant :
La preuve, que l'omission des publications a eu pour but de
faire fraude à la loi, peut s'induire de ce que les contractants ont
voulu, par cette omission, dérober leur union à la connaissance de
leur entourage et de leurs proches parents. C'est ainsi qu'un
mariage contracté à l'étranger doit être déclaré nul, lorsque la
clandestinité a été volontaire, et calculée pour enlever au père de
famille, dont le consentement était nécessaire, le moyen de con-
naître et d'empêcher l'union projetée, et qu'il a été célébré, d'ail-
leurs, par un otîicier incompétent. Orléans, 1-i avril 1886,
Dans notre espèce, l'application des faits à la loi, nous amène
infailliblement à la conclusion que le mariage, ayant été clandestin
et fait en fraude d'une loi d'ordre public, est nul per . se et doit
être annulé.
Si ce mariage est inexistant, dans le sens propre, rigoureux et
philosophique de ce mot, il ne peut jamais, suivant le langage
de Marcadé, être vivifié et confirmé par une cause postérieure,
quelle que soit cette cause ; et quand une partie s'adresse au pou-
voir judiciaire pour empêcher les résultats qui peuvent lui être
préjudiciables par un semblable mariage, elle ne demande pas au
tribunal de le casser et de l'annuler, mais seulement de recon-
naître et déclarer qu'il n'existait pas et n'a jamais existé.
Ces nullités absolues sont fondées sur un motif d'ordre public
et, conséquemment, peuvent être invoquées par tous ceux qui y
— 16 —
ont intérêt moral ou de bon ordre. Et c'est pour cette raison que
le tribunal ou le juge n'a pas le pouvoir discrétionnaire de main-
tenir tel mariage inexistant, soit pour cause de ratification par les
parties, de publicité subséquente au mariage ou de possession
d'état, comme pourrait le faire croire, à première vue, la lecture
de l'article 156 C. C. rédigé comme suit :
« Tout mariage qui n'a pas été contracté publii^uement et qui
« n'a pas été célébré devant le fonctionnaire compétent, peut être
(( attaqué par les époux eux-mêmes et par tous ceux qui y ont un
« intérêt né et actuel, sauf au tribunal à juger suivant les circons-
« tances ».
Si cet article permettait aux tribunaux de maintenir ou d'annu-
ler un mariage qui, volontairement et sciemment de la part des
parties, aurait été contracté aux Etats-Unis, sans aucunes publica-
tions préalables et sans avoir été célébré par un fonctionnaire
compétent, d'après nos lois civiles, il vaudrait certes aussi bien
dire que la loi tolère, encourage et érige eu système les mariages
clandestins, contre lesquels elle a édicté tant de moyens pré-
ventifs.
Nous croyons donc que l'application de l'article 156 C.C. doit se
faire d'après la théorie des nullités absolues ou celle des nullités
relatives, et que la discrétion du juge ne peut être exercée qu'en
faveur d'un mariage qui s'est vraiment formé, qui a une existence
véritable, mais qui se trouve entaché d'un vice pour le([uel la loi
permet seulement de le briser, casser et annuler.
Quand l'acte, dit Marcadë, n'est nul que dans le sens impropre
du mot, c'est-à-dire, quand il a une existence réelle, mais seule-
merrt vicieuse, cet acte est susceptible de ratification et de restau-
ration. En outre, cet acte, puisqu'il existe, continuera d'exister
tant qu'on ne le cassera pas.
Une autre différence, c'est que les nullités absolues sont fondées
sur un motif d'ordre public et, pour cette raison, peuvent être
— 17 —
invoquées par tous ceux qui ont un intérêt soit moral, soit pécu-
niaire, tel qu'un second mariage avant la dissolution du premier •
tandis que dans le cas de nullités relatives, l'action ne peut être
intentée que par telles personnes déterminées, parce qu'elles
ne blessent d'une manière grave que l'intérêt particulier de ces
personnes.
S'IL Y A POSSESSION D'ETAT, LE TRIBUNAL A-T-IL
DISCEETION DE MAINTENIR UN MARIAGE
NUL ET A REGIME ?
Oette différence explique donc que l'art. 156 n'a eu en vue que
les nullités relatives, résultant du défaut de publicité et de l'in-
compétence du fonctionnaire, puisque l'action n'a été accordée
qu'aux époux et à ceux qui avaient un intérêt né et actuel, tels
que le père, la mère et les parents au degré successible, mais non
pas à ceux qui pourraient n'avoir qu'un intérêt moral.
Ainsi, supposons le cas d'un mariage fait sans toutes les publi-
cations requises, ou à la suite de publications irrégulières, dans
lesquelles les noms, qualités et résidences des parties n'auraient
pas été tous indiqués ou mal indiqués ; supposons que ces publi-
cations telles que faites, aient induit en erreur et n'aient pas fait
suffisamment connaître ceux dont le mariage était annoncé et
proposé ; supposons de plus que le curé d'une paroisse, révoqué
ou nommé par l'évêque à une autre charge ou comme curé d'une
autre paroisse, célèbre contrairement à la loi, entre sa nomination
et son départ de la paroisse, le mariage de personnes qui ignorent
sa nomination ou sa révocation ; supposons encore que la dispense
des bans ait été incomplète, irrégulière ou adressée, par erreur,
par l'évêque à un autre fonctionnaire qu'au curé des parties; sup-
— 18 —
posons enfin que le concours des deux curés, au cas ou les parties
ne résident pas dans la même paroisse, n'ait pas été donné, tel
que requis par le rituel, et (j^ue dans tous ces cas le mariage ait été
contracté de bonne foi publiquement et suivi de publicité et de
possession d'état, ce mariage, irrégulier, illégal même à son origine,
peut devenir valable par la publicité subséquente de l'union des
époux, par la possession d'état et la survenance d'enfants.
Ou conçoit qu'il aurait été inhumain et cruel de décréter inva-
riablement, pour de telles illégalités, la séparation des époux unis
depuis longtemps. Yoilà donc le sage motif de la discrétion ac-
cordée aux tribunaux en pareils cas.
Voici comment Merlin s'exprime à ce sujet :
(( Ainsi est-il bien prouvé qu'il n'y a eu dans la célébration d'un
f( mariage aucune espèce de publicité, ou qu'il a été contracté de-
« vant un officier de l'état civil qui n'était notoirement ni celui
« du domicile du mari, ni celui du domicile de la femme 1 Point
« de pouvoir discrétionnaire pour le juge.
(( Mais y a-t-il des doutes, soit sur le défaut de publicité suffi-
« santé, soit sur le défaut de compétence 1 Le juge n'a que sa
« conscience à consulter. Esclave de la loi, quant au point de
« droit qu'elle établit, il est maître de son application, pourvu
« qu'il ne déclare pas constants des faits que des pièces authenti-
« ques justifient ne l'être pas, ou non constants des faits dont la
« vérité est attestée par des pièces authentiques. »
Et Merlin interprète comme suit lt>s mots ^je«^ être attaqué de
l'article 156 : correspondant à l'art. 184 C. N.
(I Dans l'art. 184, les mots : peut être attaqué, sont nécessaire-
<( ment synonymes de ceux-ci : sera déclaré nul, si le fait de biga-
« mie ou d'inceste est légalement constaté, parceque, dans un fut
« de l'une ou de l'autre nature, il ne peut pas y avoir du plus ou
« du moins ; parcequ'il y a nécessairement inceste ou bigamie, ou
— 19 —
« qu'il n'y en a point du tout ; parceque, là où il y a inceste ou
« bigamie, il est impossible (lu'il y ait mariage valable. Mais, il
« n'en est pas de même du fiiit de non-publicité et du fait d'in-
i( compétence dont s'occupe l'art. 191 ; il peut y avoir du plus ou
« du moins dans l'un comme dans l'autre ; ils peuvent, l'un comme
« l'autre, être gradués difteremment. Il peut avoir été contrevenu
« aux règles de publicité ou de compétence, avec une telle gravité
« que l'annulation du mariage soit la conséquence nécessaire de
(( la contravention qu'elles ont éprouvée ; mais il peut aussi n'y
« avoir été contrevenu que d'une manière qui n'exclue pas toute
« idée de mariage contracté publiquement et en présence d'un
« officier public revêtu d'un caractère légal.»
INTERPRETATION DE L'ART. 161, C. C
Pour conclure à la validité et au maintien d'un mariage suivi
de possession d'état, et lorsqu'un acte de célébration est représen-
té, on accouple à l'art. 156 C. C. l'art. 161 C. C. qui se lit comme
suit : « Lorsqu'il y a possession d'état, et que l'acte de célébration
« est représenté, les époux sont non recevables à demander la
(( nullité de cet acte. »
Mais il ne faut pas confondre l'acte de célébratioa avec le
mariage.
Le mariage est parfait, suivant Pothier et Laurent, par le seul
consentement des parties, qui est toujours donné avant la prépa-
ration de l'acte de célébration, lequel n'est que la preuve du
mariage.
Le consentement des parties en cette cause n'a pas été donné
légalement, ou il l'a été dans des circonstances prohibées par la
loi et en fraude de cette loi et devant un ministre incompétent à
— 20 ~
recevoir ce consentement. Partant, ce consentement n'a aucune
valeur légale et n'a pu produire de contrat.
Le mariage étant nul, il s'en suit que l'acte le constatant le
devient lui aussi. Par conséquent, la possession d'état des parties
n'est pas accompagnée de la représentation d'un acte valable de
célébration. Les deux conditions de l'art. 161 ne se rencontrant
plus, il ne peut être invoqué au soutien du mariage.
Pour décider que les époux seraient non recevables dans la
demande en nullité du mariage, parcequ'il y aurait eu possession
d'état et représentation de l'acte de célébration, il faudrait que la
loi dise « nullité du mariage » et non « nullité de l'acte », tel que
se lit l'art. 161 C. C, ce qui est bien différent.
Il n'y a qu'un seul article, dit Laurent, qui parle de la posses-
sion d'état, c'est l'art. 196 C. N. correspondant à notre art. 161, la
jurisprudence l'invoque, mais il se trouve que cette disposition
est absolument étrangère à la « nullité du mariage >» ; elle ne con-
cerne que la « nullité de l'acte de célébration » et elle ne couvre
cette nullité qu'à l'égard des époux, quand la possession d'état
est appuyée sur un acte de célébration.
Cette nullité de l'acte de célébration peut découler, par exemple,
du fait qu'il n'aurait pas été signé par les parties ou par le fonc-
tionnaire, ou de ce qu'il n'aurait pas été rédigé en la manière
voulue par la loi, ni entré dans les registres de l'état civil.
Nous concluons donc, sur ce premier point, que le mariage
étant inexistant dès son principe, n'a pu être ratifié par aucune
circonstance subséquente et que l'action en nullité est imprescrip-
tible pour la raison, dit Laurent, que tels mariages contractés
contre l'ordre public et les bonnes mœurs, tels que le défaut
d'âge, la bigamie, l'inceste, la clandestinité sont un scandale, et
que ce scandale étant permanent, l'action pour y mettre fin ne
peut pas s'éteindre.
_ 21
PRINCIPALE QUESTION
LE MARIAGE DOIT-IL ETRE CELEBRE DEVANT
LE CURE DES PARTIES ?
Il devient donc nécessaire, dans une espèce importante comme
la nôtre, de démontrer quel est le véritable caractère de la fraude
commise envers la loi.
La demanderesse soutient que cette fraude est manifeste et
résulte du fait que son mariage avec le défendeur a été célébré
devant un fonctionnaire qui n'était pas de leur croyance religieuse
et ce contrairement à la loi et aussi à un empêchement créé par
l'Eglise catholique, dont elle et son mari étaient les adeptes.
Cette question de la célébration du mariage par le curé ou
ministre des parties, soulevée par la demanderesse, est trop liée
à ce débat, pour qu'il soit possible de nous dérober à la responsa-
bilité de la décider.
On sait que la théorie adverse est : a. — Que le mariage peut
être célébré par tout fonctionnaire autorisé à tenir les registres do
l'état civil, que les parties contractantes soient ou non de la foi
religieuse de ce fonctionnaire ; b. — Que l'obligation que l'on
veut imposer aux parties de se marier devant leur curé ou minis-
tre, ou quelqu'un les représentant, est une entrave à la liberté
individuelle et à la liberté des cultes ; c. — Qu'il n'y a aucun
texte positif dans notre code statuant, comme condition essen-
tielle du mariage, qu'il soit célébré devant le Curé des parties.
Nous croyons que la solution de ces différentes questions peut et
— 22 —
doit se faire au moyen des diverses dispositions de notre code et des
lois antérieures, sans qu'il soit nécessaire de remonter le coui-s de
l'histoire ou de faire une incursion inutile dans le domaine des
législations étrangères et des jurisprudences établies en vertu de
ces lois, qui n'ont pas et ne peuvent avoir de similitude avec les
nôtres, vu les conditions sociales toutes particulières dans les-
quelles nous vivons, et aussi les événements politiques et consti-
tutionnels par lesquels notre pays a passé.
Ça été là d'ailleurs, la tentative faite par Me. Lafieur dans son
admirable plaidoyer in Ee Delpit vs Coté qui, à notre sens,
comporte l'exposé le plus clair et le plus précis que le mariage
peut être célébré par tout fonctionnaire, chargé de la tenue des
registres de l'état civil, que les parties soient ou non de la cro-
yance du célébrant.
Cependant, pour trouver la source du droit applicable à la cause
de la demanderesse, il faut nous reporter à une époque antérieure
à celle du code civil, voiie même à la cession du pays, c'est-à-dire
à l'époque où le mariage était régi par les lois françaises.
C'est ce que nous ferons succinctement.
Il a été dit que l'histoire est la recherche intelligente de la vérité.
Mais ce mode est plus théoriquement que pratiquement vrai, sur-
tout si l'histoire que vous consultez, couvre une longue période de
temps, marc^uée par des guerres nationales entraînant le change-
ment d'allégeance d'un peuple envers un nouveau souverain et
suivies de grands mouvements populaires. Au surplus, cette
étude de l'histoire, tout comme celle du droit, ne peut se faire avec
l'aide et les lumières d'un seul auteur ; car, ce serait risquer de
faire fausse route, à travers ces événements importants, que de se
mettre ainsi à la remorque d'un seul historien, qui pourrait en
avoir fiit le récit au point de vue de ses idées religieuses, natio-
nales, philosophiques, morales, ou sous l'inspiration de fanatisme
ou de chauvinisme outrés : — toutes et autant de raisons qui
distraient la plume d'un écrivain des sentiers de la vérité.
— 23 —
Mais il doit y avoir des événements historiques, des faits pas-
sés, des lois, des ordonnances royales, sur lesquels peuvent con-
venir et s'entendre des esprits modérés et disposés à donner à
chacun, dans ce pays, sa part égale de droits et de libertés cons-
titutionnels, même dans la discussion de questions que l'on a
rendu quelque peu acrimonieuses, sans raison et sans profit pour
aucun culte et aucune nationalité.
HISTOIRE DE LA LEGISLATION LORS DE LA CESSION
Personne ne conteste le feit historique qu'avant la cession* les
lois Françaises régissaient notre pays.
Pothier expose entièrement, dans son traité sur le mariage, les
lois Françaises relatives à la célébration du mariage, qui étaient
appKcables et suivies dans ce pays avant la cession.
Pothier, Vol. VI, No 354 — (( Il faut, pour la validité du ma-
riage, non-seulement qu'il ait été célébré en face de l'Eglise, mais
encore que le prêtre qui l'a célébré ait été compétent ».
Idem. No. 355 — « Le prêtre compétent pour la célébration
des mariages, est le curé des parties ».
« Le curé des parties est celui du lieu où elles font leur rési-
dence ordinaire ».
Idem. No 360 — » Tout autre prêtre qui n'a la permission ni
de l'évêque, ni du curé des parties, est incompétent pour le célé-
brer.
« C'est ce qui résulte de la déclaration de 1639, qui, après avoir
ordonné que ce sera le curé qui recevra le consentement des par-
ties, ajoute : — » Défense à tous prêtres de marier autres person-
nes que leurs vrais paroissiens, sans la permission par écrit, des
curés des parties, ou de l'évêque.»
_ 24 —
Idem. Xo. 350 — n Cette présence du curé requise par nos lois
pour la validité des mariages, n'est pas une présence purement
passive : c'est un fait et un ministère du curé qui doit recevoir le
consentement des parties, et leur donner la bénédiction nuptiale.
« Cela résulte des termes de la déclaration de 1639, ci-dessus
rapportée, où il est dit que le curé recevra le consentement des
parties, et les conjoindra en mariage, suivant la forme pratiquée
en l'Eglise. ,
« Il ne suffirait donc pas, pour la validité du mariage que les
parties allassent trouver à l'église leur curé, et qu'ils lui décla-
rassent qu'ils se prennent pour mari et femme ; il faut que leur
curé célèbre leur mariage. )>
Idem, No 362 — » Cette nullité des mariages célébrés par un
prêtre incompétent n'est pas de la classe de celles qu'on appelle
relatives, qui n'ont lieu que lorsque la partie s'en plaint ; telles
que sont celles qui résultent du défaut de liberté dans le consen-
tement de l'une des parties contractantes, de l'impuissance, du
défaut de consentement des père, mère ou tuteur, etc., elle est de
la classe de celles qu'on appelle nullités absolues, et, elle ne peut
se purger ni se couvrir (pie par une réhabilitation du mariage
des parties, c'est-à-dire, une nouvelle célébration faite par le curé
ou avec sa permission ou celle de l'évêque. »
Pothier étaye son opinion sur les ordonnances de 1606, de 1639
et de 1679 citées à la page 159 de son traité.
De plus, l'Eglise catholique prétendait, avant la cession, en
vertu du Concile de Trente, publié et promulgué dans toutes les
églises du Diocèse de Québec, qui comprenait alors toute l'Amé-
rique du Nord, tel qu'en fait foi l'édition du rituel publiée par
les ?oins de Mgr de Saint-Valier, que le mariage de deux catho-
liques devait être célébré, sous peine de nullité, devant le curé
des parties.
Il est aussi admis que la religion alors dominante dans la colo-
nie était la religion catholique.
— 25 —
CONSEQUENCE DE LA CESSION
Quelle a été la conséquence de la cession du pays à la Couronne
d'Angleterre, quant aux droits civils et religieux des habitants 1 —
Ou plutôt, quelle est la règle du droit international en pareil cas 1
Lord Mansfield et le juge en chef Marshall répondent chacun
comme suit à cette question :
« Les lois d'un pays conquis, dit Lord Mausneld, continuent
d'être en force jusqu'à ce qu'elles soient changées par le conqué-
rant ; l'absurde exception à l'égard des païens, mentionnée dans
la cause de Calvin, démontre l'antiquité et l'universalité de la
maxime n.
Juge en chef Marshall : — » Au sujet du transfert du territoire,
il n'a jamais été jugé que les relations des habitants entre eux
n'amènent aucun changement. Leurs relations avec le premier
souverain sont dissoutes et de nouvelles relations sont créées entre
eux et le gouvernement qui a acquis leur territoire ; — la loi qui
peut être appelée politique est nécessairement changée, quoique
ce qui règle les relations et la conduite générale des individus
entre eux subsiste jusij^u'à ce qu'elles soient changées par le pou-
voir de l'Etat nouvellement créé.»
Et pour illustrer davantage la règle du droit international qui
est incontestable, nous citerons Blackstone, dont l'autorité est
justement irréfragable, en certains milieux.
Il parle de ce sujet d'une manière caractéristique, et voici com-
ment il définit les droits du conquérant : — » In conquered or
ceded countries, again, that hâve already laws of their own, the
Sovereign may indeed alter and change those laws ; but, till he
does actually change them, the ancient laws of the country re-
main, unless such as are against the lawof God, as in the case of
— 26 —
an infidel countiy Our American plantation are princi-
pally of this latter sort, being obtained in the last century by
right of conquest or by treaties. And therefore, the common law
of England, as such, has no allowance or authority there, they
being no part of the mother coïintrij, lut distinct, though dépen-
dent dominions. They are subject, however, to the control of the
parliament, though not bound by any acts of parliament, unless
particularly named. — Ed. 1898.»
« Thus the laws of Spain, Holland and France, are still whoUy
or partially in force in the colonies which hâve been acquired
from those powere. — Nor are there wanting instances in which
the laws and usages of ceded and conqiiered territories though
inconsistent with, and even répugnant to those of the parent
state, hâve been permitted to survive their annexation to the
British Empire. Thus in the celebrated case of General Pictou,
the question was much argued though not finally decided, whe-
ther obtaining évidence by torture was légal in Trinidad, poly-
gamy has been tolerated in Ceylon, the burning of widows in
India, and slavery in our American dependencies.
<( To recognize, remodel, or altogether supersede the laws of a
conquered country, is thus a part of the prérogative of the
Crown ; and the same powers belong to the sovereign with res-
pect to ceded territories, unless his right has been restricted by
the articles of cession, which by the laAvs of nations are sacred
and inviolable, until altered by the législature of the territory
itself ».
Or si, en vertu du droit international, on a conservé les lois in-
humaines et barbares des pays non civilisés conquis par la Grande-
Bretagne, telles que de mettre un témoin à la torture pour lui
faire dire la vérité, de brûler les veuves, de permettre la polyga-
mie et de maintenir l'esclavage, assurément il ne s'est jamais
présenté à l'esprit des hommes publics d'Angleterre, qui se dis-
— 27 —
putaient alors la prépondérance du pouvoir, d'enlever les coutumes
policées et les lois prises aux plus pures sources du droit, à un
peuple faible et vaincu, qui n'avait eu d'autre tort que celui d'être
loyal envers un prince qui préférait écouter des paroles de mé-
pris tombant des lèvres d'une courtisane, au sujet de ces arpents
de neige rougis du sang de ses sujets, que d'admirer leurs nobles
efforts pour rester Français.
11 n'est certes jamais venu à l'idée des grands hommes d'état
anglais d'enlever aux habitants du pays les lois réglant les rap-
ports de citoyens entre eux et leurs propriétés, et particulière-
ment les lois concernant le mariage, non plus que la liberté de
pratiquer une religion morale, la plus ancienne de toutes les reli-
gions chrétiennes, et celle-là même dont les sages ministres con-
seillaient à leurs ouailles, dès cette époque, de se ranger sous le
nouveau drapeau et d'accepter avec résignation leur défaite.
Elles sont palpitantes d'intérêt les belles pages de l'histoire
d'Angleterre, dans lesquelles sont consignés les paroles et les dis-
cours de Pitt, de Fox et de Burke, au sujet de la constitution a
être donnée à la nouvelle possession ac(iuise à la Couronne d'An-
gleterre !
De cette discussion se détache une idée de liberté qui, d'ailleurs,
parcourait alors le continent européen, et aussi des sentiments de
magnanimité envers un peuple écrasé, que l'esprit pratique et
prévoyant de l'Anglais cherchait à ramener doucement mais
sûrement au nouveau régime.
Elle est encore empreinte de ces idées cette constitution de 1774,
connue sous le nom de « Québec Act » et émanant de l'autorité
royale, qui a confirmé et ratifié le maintien des lois civiles fran-
çaises et qui a conservé aux catholiques du Canada la liberté
entière de leur culte.
Cet acte, voulant écarter tous les doutes, créés par les ordon-
nances des gouverneurs anglais relatives à l'application des lois
28
françaises, pendant le régime militaire, a révoqué toutes les com-
missions de juges et aussi les ordonnances publiées par le gou-
verneur en Conseil, relatives à l'administration de la justice pen-
dant ce régime de 1763 à 1774.
Les deux célèbres causes de Stuart -vs- Bowman, D. T. Q. Vol.
II, p. 362 et de Wilcox & Wilcox, L. C. J., Vol. 2, p. 6, ont
fait ressortir le caractère de l'Acte de Québec et la plupart des
juges sinon tous, tant anglais que français, Rolland, Panet,
Aylwin, Mondelet, Lafontaine, Duval et Caron ont émis l'opinion
que le droit civil anglais n'avait pas été introduit dans le Bas-
Canada et que l'ancien droit français avait été conservé.
Citons les principales clauses de cet acte Impérial, 14th Georges
III, chap. 83. Elles parlent plus énergiquement que tous les
commentaires et développements que nous pourrions en faire et
leur donner.
a) Section 4 : — ((Et comme les règlements faits par la pro-
clamation, eu égard au gouvernement civil de la Province de
Québec, ainsi que les pouvoirs et autorités donnés au gouverneur
et autres officiers civils en la dite Province, par concessions ou
commissions données en conséquence d'iceux, — c'est à savoir :
sous le régime militaire de 1763 à 1774 — ont, par ['expérience été
trouvés désavantageux à Vétat et aux circonstances de la dite
Province, le nombre de ses habitants montant à la conquête à
plus de soixante et cinq mille personnes qui professaient la reli-
gion de l'Eglise de Rome, et qui jouissaient d'une /orme stable de
constitution et d'un si/stènie de lois en vertu desquelles leurs per-
sonnes et leurs ^;rojf;riV'^éû' ont été protégées, gouvernées et réglées
pendant une longue suite d'années, depuis le premier établisse-
ment de la dite Province du Canada ;il est, à ces cause3,aussi éta-
bli par la susdite autorité que la dite proclamation, quant à ce
qui concerne la dite Province de Québec, que les commissions en
vertu desquelles la dite Province est à présent gouvernée, que
— 29 —
toutes et chacunes ordonnances faites pendant ce temps par le
gouvernement et conseil de Québec, qui concernent le gouverne-
ment civil de la justice de la dite Province, ainsi que toutes les
commissions de juges et autres officiers d'icelle sont, et elles sont
par ces présentes, infirmées , révoquées et annullées, à compter
depuis et après le premier jour de mai, 1775. — »
Section 5 : — <( Etjfjfî^r la plus entière sitreté et tranquillité
des esprits des hahitants de la dite Province, il est par ces pré-
sentes déclaré, que les sujets de Sa Majesté pjrofessant la religion
de V Eglise de Eome dans la dite Pro"vince de Québec, peuvent
avoir, conserver et jouir du libre exercice de la religion de Rome,
soumise à la suprématie du Eoi, déclarée et établie par un acte
fait dans la première année du règne de la Eeine Elizabetb sur
tous les domaines et pays qui appartenaient alors, ou qui appar-
tiendraient par la suite à la Couronne Impériale de ce royaume ;
et que le clergé de la dite Eglise peut tenir, recevoir et jouir de
ses dûs et droits accoutumés, eu égard seulement aux person-
nes qui professeront la dite religion.»
Section 8 : — u Tous les sujets canadiens de Sa Majesté en la
dite Province de Québec (les ordres religieux et communautés
seulement exceptés,! poun-ont aussi posséder leurs biens et pro-
priétés, et jouir de tous les usages et coutumes qui les concernent,
et de tous leurs autres droits de citoyens, d'une manière aussi
ample, aussi étendue et aussi avantageuse, que si les àites, procla-
mations, commissions, ordonnances, et autres actes et instruments
n'avaient point été faits, en gardant à Sa Majestéla/oi et fidélité
qu'ils lui doivent, et la soumission due à la couronne et au Parle-
ment de la Grande-Bretagne, et dans toutes affaires en litige
qui concernent leurs propriétés et leurs droits de citoyens, ils
auront recours aux lois du Canada comme les maximes sur les-
quelles elles doivent être décidées ; et tous ^rrocès qui seront à
Vavenir intentés dans aucune des Cours de Justice y seront jugés
— 30 —
en égard à tels droits par les dites lois et coutumes du Canada,
jusqu'à ce qu'elles soient changées ou altérées par quelques ordon-
nances qui seront passées à l'avenir dans la dite province par le
gouverneur, de l'avis et consentement du conseil législatif qui y
sera constitué.»
Les Actes Impérieux 18 et 31 Georges III ne font (jue confir-
mer l'acte ci-dessus cité.
Cette législation au sujet du maintien des lois civiles Françaises
et de la liberté du culte catholique fut conservée intacte jusqu'à
l'Acte 3 et 4 Vict., chap. 35, de 1840, réunissant les provinces du
Haut et du Bas Canada et qui inaugurait, pour cette partie de
l'Amérique du Nord, une nouvelle constitution et la soumettait à
un nouveau régime politique. Cet Acte contenait une disposition
formelle qui statuait, section 46, que — toutes les lois, statuts, et
ordonnances en force, au temps de la réunion du Haut et du Bas
Canada, resteraient en vigueur dans les dites Provinces et conti-
nueraient d'y avoir la même vigueur^ autorité et effe', comme si
cet Acte n'avait pas été passé, et comme si les dites Provinces
n'avaient pas été réunies, excepté en autant que telles lois sont
abrogées ou changées par le présent Acte, ou en autant qu'elles
pourront être ci-après, en veiiiu de l'autorité du présent Acte,
révoquées ou changées par aucuns Actes de la Législature de la
Province du Canada.))
Conséquemment, les lois civiles françaises comprenant et se
rapportant au mariage et à sa célébration devant le curé des par-
ties, n'étaient nullement modifiées ni changées.
Puis, nous arrivons à l'Acte de l'Amérique Britannique du
Nord, autrement dit : Acte de la Confédération dont la
section 129 ratifie, quant au maintien des lois françaises et du
culte catholique, l'état de choses existant.
Cette section comporte que toutes les lois en force en Canada,
lors de V union, tous les tribunaux de juridiction criminelle et
— 31 —
civile, toutes les commissions, pouvoirs et autorités ayant force
légale, et tous les offices judiciaires, administratifs et minis-
tériels, en existence dans les provinces à l'époque de l'union,
cvntlnueront d'exister dans les provinces d'Ontario, de Québec, de
la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick, respectivement,
comme si l'union n'avait pas eu lieu ; mais ils pourront néan-
moins être révoqués, abolis, ou modifiés par le Parlement du
Canada, ou par la Législature de la Province respective, conformé-
ment à l'autorité du Parlement ou de cette Législature en vertu
du présent acte.
Les lois civiles antérieures à l'acte de la Confédération et celles
relatives au mariage, reproduites dans le Code Civil, adopté
avant l'acte de la Confédération, n'ont pas été changées par cet
acte, mais ont été conservées dans toute leur étendue, avec leur
caractère et dans toute leur intégrité.
Nous sommes donc en présence de lois conservées et continuées
dans le pays en vertu des lois |internationales, et aussi, en vertu
d'une législation presque centenaire créée par l'autorité impériale,
réaffirmée par le pouvoir législatif du pays, chaque fois qu'il a été
soumis à un nouveau régime, et exprimée en des termes aussi
clairs et précis que conclusifs, à l'effet : — lo. Que les lois
françaises régissant le pays, et telles qu'elles étaient en force Inr-t
de la cession du paijs, resteraient en vigueur, et qu'on devait avoir
recours à telles lois, comme les maximes sur lesquelles elles doi-
vent être appliquées à.?in.s toutes affaires en litige concernant les
propriétés et les droits de citoyens des sujets canadiens de Sa
Majesté dans la Province de Québec ; — 2o. Que ses sujets cana-
diens devaient posséder et possédaient leurs biens et propriétés, et
qu'ils deva-ieni jouir de tous les usages et coutumes qui les concer-
nent et de tous les antres droits de citoyens d'une manière aussi
ample, aussi étendue et aussi avantageuse que si les proclama-
tions, commissions, ordonnances et autres Actes et Instruments du
— 32 —
roi ou des gouverneurs anglais n'avaient joom^ été faites pendant
le régime militaire ; — 3o. Que devait être reconnue la liberté
entière d^c culte catholique en Canada.
Comme on le voit, le Statut impérial était absolument général
et irrestrictif, puisqu'il disait que pour toutes les affaires en litige
concernant les propriétés et les droits des citoyens, on aurait re-
cours aux lois en force avant la cession, et aussi aux maximes sur
lesquelles ces lois devaient être décidées.
Lorsque l'on a voulu apporter quelque restriction à l'usage
des lois antérieures à la cession, et lorsqu'il a été jugé à propos
d'introduire certaines lois Anglaises, le Statut Impérial s'en est
expliqué et l'a déclaré d'une manière non équivoque, ainsi qu'il
l'a fait par la section 11 de l'Acte de 1774 qui édicté que les lois
criminelles et commerciales anglaises seront applicables au nou-
veau pays. Et plus tard, lorsqu'on a voulu y appliquer les règles
de la preuve du droit anglais en matière commerciale, le procès
par jury dans les affaires de commerce, d'injures personnelles et
le « Capias ad Respondendum», on l'a déclaré par un Statut ex-
plicite, savoir : 2.5 Georges III, chap. 2.
Dans la cause de Barras contre Cité de Québec, Sir Antoine
Aimé Dorion, avec sa puissante faculté de raisonnement, a fait
ressortir le principe généralement connu qu'une loi reste en force
tant et aussi longtemps qu'elle n'a pas été abrogée, révoquée,
amendée et rappelée par une autre loi, ou par un usage constant.
Ce qui fait ressortir davantage l'idée et l'opinion que les lois
Françaises ont été conservées, c'est l'Acte du Canada sanctionné
par Lord Elgin en 1849, par lequel on reconnaissait comme l'une
des langues officielles au Canada la langue Française, dont
l'usage devant les Législatures et les cours de justice devait con-
tribuer puissamment à l'application et à l'interprétation des lois
écrites dans cette même langue.
Si, avec le secours de l'histoire statuaire et constitutionnelle du
— 33 —
pays, on réussit à démontrer que les lois Françaises ont été con-
servées dans la province de Québec, la conséquence logique et
inévitable est que les lois relatives au mariage, en force lors de la
cession, sont encore en force et que partant, le mariage doit être
célébré devant le curé ou ministre des parties, ou quelqu'un les
remplaçant.
Mais on invoijue contre cette loi un sentiment national, et l'on
dit qu'il devait répugner au peuple conquérant de se soumettre à
une loi contraire à la loi commune d'Angleterre, i^ui permet le
mariage purement civil.
La première réponse à cette objection est que les formalités re-
(juisês par les lois Françaises relatives au mariage, savoir : les
publications dans l'église des parties et la célébration devant le
curé des conjoints, ne pouvaient pas tant répugner à l'esprit
anglais à cette époque, puisqu'elles avaient été en pratique et en
honneur en Angleterre jusqu'à la Réforme, tel qu'en fait foi le
précis historique de Blackstone à ce sujet. — Vol. 1, pp. 448, 449
et 450.
En deuxième lieu, c'est que la loi qui exigeait la célébration
du mariage par le curé des parties, interprétée rigoureusement et
même dans son sens le plus absolu, ne soumettait pas et ne pou-
vait pas obliger, (comme on l'a insinué, ou plutôt, affirmé dans la
cause de Delpit) les nouveaux habitants du pays qui étaient pro-
testants, à faire célébrer leur mariage devant les curés ou prêtres
catholiques. C'eût été là un non sens et une absurdité. Aussi,
l'esprit de la loi a-t-il été tout de suite compris et suivi : c'est que
les prêtres ou ministres de chaque dénomination religieuse ne
célébrèrent que les mariages de leurs adeptes, les curés catholiques
mariaient les catholiijues et les ministres protestants célébraient
les mariages des protestants, pourvu toujours que ces ministres
fussent des fonctionnaires chargés de la tenue des registres de l'état
civil. La seule objection, soulevée pendant quelque temps après la
— 34 —
cession, n'était pas contre la célébration du mariage par le curé
ou ministre des parties, mais était faite par certaines dénominations
religieuses, dont les membres étaient obligés de se marier devant
des ministres autres que ceux de leur culte, savoir : devant les
ministres de l'église Anglicane, qui prétendaient alors avoir seuls
le droit de faire les actes et de tenir les registres de l'état civil.
C'était là une objection basée sur un sentiment bien naturel,
et ça été pour remédier à ce sérieux inconvénient que les législa-
tures ont donné, de temps à autre, aux ministres des autres sectes
religieuses le pouvoir de tenir les registres de l'état civil et par-
tant de marier leurs coreligionnaires.
En troisième lieu, cette répugnance, si elle existait, ne ptfuvait
militer contre la force des lois internationales et en annuler l'effet ;
et c'est ce que Blackstone remarque judicieusement dans le para-
graphe déjà cité, dans lequel il dit : — <( Nor are tbere wanting
instances in which the laws and usJages of ceded and conquered
territoires, though inconsistent with, and even répugnant to those
of the parent state, hâve been permitted to survive their annexa-
tion to the British Empire.»
Il répugnait certes à la fierté légitime dé l'Anglais de laisser
brûler les gens, de les torturer, sous prétexte d'obtenir la vérité,
de conserver la polygamie, etc., etc., dans les pays conquis, mais
cette tolérance se fiiisait en vertu du droit international.
Que les lois françaises aient été intégralement conservées —
même celles relatives au mariage — et qu'elles n'aient été ni
répugnantes ni amères au vainqueur, le fait ressort d'une ma-
nière éclatante d'un jugement qui a été prononcé en 1816, par
l'ancien jugé en chef Sewell, dans la cause de Ex-j)arte Revd.
Spratt, rapportée à la page 90 des Stuart's Reports. Dans cette
espèce, intimement liée à la nôtre, un ministre congrégationaliste
s'adressait au tribunal pour obtenir l'autorisation de tenir les re-
gistres de l'état civil, et partant de célébrer les mariages.
Le distingué Magistrat s'exprime comme suit :
f
— 35 —
i( If the character and office of the petitioner — Rvd Spratt — »
:aie within the letter and intention of this Statute, he has a right
to a register, if they are not, he has no such right. The British
-Stntute 14th Geo. III, ch. 83 commonly called the Québec Act,
declared the law of Canada — as it stood at the conquest — to
be the ruie of décision in ail matters of controversy and civil
riijhts. ))
Et puis l'honorable Juge fait la citation des lois françaises con-
tinuées par l'Acte de Québec, et sur lesquelles il se base pour
repousser la demande de ce ministre. Or, si le juge en chef
Sewell, qui a laissé un grand nom dans la jurisprudence, contem-
porain des événements qui ont suivi l'Acte de Québec et partant,
en état de connaître le sentiment public au sujet de l'usage des
lois françaises concernant la célébration des mariages et de la
tenue des registres de l'état civil, eut cru que ces lois et en parti-
culier celle soumettant les parties à faire célébrer leur mariage
devant les ministres de leur culte froissaient et heurtaient les
sentiments nationaux et religieux des sujets anglais en Canada,
il n'aurait pas manqué, tout en appliquant la loi, de faire des
réserves dans son jugement. Mais non, il applique les lois fran-
çaises sans restriction à un sujet qui était de nature à amener le
•débat sur le terrain des sympathies nationales ou religieuses.
Au Canada, les lois françaises continuées et invoquées dans le
présent litige, ne l'ont pas été seulement en vertu du droit inter-
national mais encore et surtout par la volonté du Souverain et du
Parlement Anglais.
Il est difficile de se rendre à l'idée que le Souverain d'Angle-
terre et son Parlement auraient imposé aux sujets anglais du
Canada une législation qui leur aurait inspiré une répugnance
Teligieuse invincible. Xon, les événements et l'histoire ont justifié
cet Acte Royal et en ont démontré la sagesse, puisque cette légis-
lation n'a jamais soulevé de récriminations, que l'iiistorien l'a
— 36 —
approuvée, que la jurisprudence l'a ' consacrée et que nos législa-
tures l'ont maintenue.
Les partisans de l'inapplicabilité des lois françaises quant aa
mariage et à sa célébration devant le curé ou le ministre des
futurs conjoints, se rabattent sur un autre moyen, reinaniuable par
sa nouveauté, et qui a été toute une révélation pour les liomme.s
de loi familiers avec notre droit canadien : — C'est que le mariage-
n'est pas réglé par les lois civiles qui avaient été maintenues en la
province de Québec, ou, que les lois civiles sont étrangères au
mariage et que partant, lors de la cession, la loi commune d'An-
gleterre, se rapportant au mariage et permettant qu'il soit célébré
devant tout fonctionnaire chargé de la tenue des registres civils^
a été introduite en Canada et y est devenue en force.
Cette prétention a donné lieu, dans la cause Delpit, à une
inconséquence inexplicable ; car après avoir repoussé la jjréten-
tien que le mariage est un contrat religieux, on a soutenu que
c'est un contrat civil.
Or, si le mariage est un contrat civil, nous nous demandons-
par quelle loi il est régi. On ne soutiendra certainement pas que
ce contrat tombe dans la catégorie des contrats commerciaux oil
maritimes, et encore moins, qu'il est soumis aux lois criminelles-
et martiales.
Il suffit, croyons-nous, de consulter leslois étrangères avec les-
quelles nous sommes quelque peu fimiliers, pour nous convaincre
qu'il est de principe élémentaire en droit, que le mariage est
soumis aux lois civiles.
Guyot, Vol. 2, p. 14, Revoie de Jurisprudence., — nous apprend
qu'aux temps les plus reculés, les lois civiles réglaient le culte
des dieux, le partage des terres, les mariages et les successions.
— iiLts lois civiles, dit Portalis, disposent sur les rapports na-
turels ou conventionnels, forcés ou volontaires, de rigueur ou de
simple convenance, qui lient tout individu à un autre individir
— 37 —
ou à plu.sieurs. Ces lois civiles règlent les rapports des citoyens
entre eux, quant à leurs droits personnels et à leurs propriétés ;
elles se composent des règles du droit naturel commun à tous les
hommes de tous les pays. Les autres lois s'appliquent exclusive-
ment à des sujets autres «lue ceux réglés par les lois civiles ; telles
«ont les lois commerciales, maritimes, fiscales, militaires, ii
Rolland de Villargues, Vol. 5, p. 476, vo. Lois.
De plus notre Code Civil, comme le Code Napoléon, a classé
les lois du mariage parmi les lois civiles qui se rapportent aux
droits les plus intimes et les plus pe rsonnels des individus.
Or y a-t-il une loi qui concerne plus intimement les droits des
■citoyens, — suivant l'expression du Statut Impérial, — et qui lie
davantage les personnes par des rapports naturels, conventionnels
et légaux, que les lois relatives au mariage, lesquelles contiennent
les règles fondamentales de la famille et de la société, et qui
■établissent des obligations constantes et des devoirs réciproques
entre les époux 1
Si l'on avait voulu substituer le droit public anglais aux lois
françaises quant au mariage, introduire le premier pour écarter les
secondes, on l'aurait assurément fait avec la même précision que
l'a fait le Statut Impérial lorsqu'on a appliqué LiS lois commer-
ciales et criminelles anglaises au Canada.
Si le Statut Impérial avait prescrit une innovation dans ce sens,
il aurait donné lieu à de vives lécriminations et à des plaintes
légitimes de la part des habitants du Canada, ce dont nous ne
trouvons aucune trace dans l'histoire.
Mais, d'après l'autorité de Blackstone, la loi commune d'An-
gleterre, à moins d'un Acte du Parlement, n'a eu ici « no
allowance or authority » parceque cette colonie ne faisait pas
partie de la mère-patrie, mais était une possession distincte, quoi-
que dépendante de la mère-patrie.
Le Conseil Privé, dans la cause de Citizens Insurance Company
— 38 —
of Canada & Queen Insurance Company vs Parson, ( — p. 947 de-
Beauchamp Jurisprudence of Privy Council,) — s'est chargé de
dissiper tout doute sur l'interprétation et l'étendue des mots « civil
rights » contenus dans l'acte de Québec, Hth Georges III, ch.
83.
Il a été décidé dans cette cause que : — « The words n property
and civil rights in the province include rights arising from con-
tracts, not in express terms, and are not limited to such rights
only as flow from the law, e.g., the statute of persons i».
Et Sir Montagu Smith s'exprime comme suit : p. 499 : — « The
Province of Québec is omitted from this section for the obvious
reason that the law which governs property and civil rights in
Québec, is in the main the French Law, as it existed,at the time
of the cession of Canada, and not the English Law which prevaila
in the other Provinces. The words « property and civil rights »
are, obviously, used in the same sensé in this section as in Xo 13
of section 92, and there seems no reason for presuming that con-
tracts and the rights arising from them were not intended to be
included in this provision for uniformity. If, however, the narrow
construction of the words k civil rights », contended for by the
Appellants, were to prevail, the Dominion Parliameut could,
under its gênerai power, legislate in regard to contracts in ail and
each of the Provinces, and as a conséquence of this, the Province
of Québec, though now governed by its own civil code, founded
on the French Law, as regards contracts and their incidents,
would be subject to hâve its law on that subject altered by the
Dominion Législature, and brouglit into uniformity with the
English Law, prevailing in the other three Provinces, notwith-
standing that Québec has been carefully left out of the uniformity
section of the Act.
(( It is to be observed that the same words, k civil rights », are
employed in the Act of Québec 14th George III, ch. 83, which
— 39 —
inade provision for tlie government of the Province of Québec.
Section 8 of that Act enactedthat His Majesty's Canadian subjects
within tbe Province of Québec, should enjoy their property, usages,
aud other civil rights, as tbey had before done, and that in ail
matters of controversy relative to property and civil rights, resort
should be had to the laws of Canada and be determined agreeably
to the said laws. In this statute the words n property and civil
rights )> are plainly used in their largest sensé, and there is no
reasoQ for holding that in the statute under discussion they are
used in a différent and narrower one.»
Nous concluons donc que d'après le droit international, d'après
les Statuts Impériaux, d'après la législation canadienne, le maria-
ge devait être célébré dans la Province de Québec, jusqu'à
l'adoption du code civil en 18G6, par le curé ou ministre des
parties, suivant l'ancienne règle du droit français.
REGLES RELATIVES AU MARLAGE ?
Arrivons aux règles relatives au mariage, telles que définies par
le Code Civil.
Les codificateurs n'ont pas voulu ériger ni établir un système
nouveau,ni faire des innovations aux règles concernant le mariage.
Il s'en sont bien gardé, et ils le déclarent emphatiquement.
En effet, les rapporteurs du Code, qui doivent en être les in-
terprètes naturels et véritables, s'expriment comme suit : — «Dans
la vue de conserver à chacun la jouissance de ses usaijes et de ses
pratiiu.es, suivant lesquelles la célébration du mariage est confiée
aux ministres du culte auqitel il appartient, sont insérées dans
ce titre plusieurs dispositions qui quoique nouvelles quant à la
— 40 —
forme, ont cependant leur source et leur raison d'être dans l'esprit,
sinon dans la lettre, de notre législation. » Puis, ils ajoutent :
« Qu'un changement comme celui opéré par le Code Napoléon,
qui a civilisé le mariage et en a confié la célébration, ainsi que
la tenue des registres, à des officiers d'un caractère purement
civil, sans aucune intervention obligée de l'autorité religieuse, ne
paraissant aucunement désirable en ce pays, il a f.illu renoncer
à l'idée d'établir ici, sur les formalités du mariage, des règles
uniformes et détaillées. »
La grande préoccupation du législateur a été d'assurer la pu-
blicité du mariage, de prévenir les mariages clandestins et leurs
conséquences funestes pour les conjoints, les familles et la société.
Et voici CQmment la majorité des commissaires exprime son
opinion :
« La publicité exigée par la première partie de l'article 128 est
dans le but d'empêcher la clandestinité du mariage repoussée
avec raison par tous les systèmes de loi ; un acte aussi important
et qui intéresse bien d'autres que les parties elles-mêmes, ne doit
pas être tenu secret ; or, le meilleur moyen d'empêcher qu'il ne
le soit, est de rendre obligatoire la publication de la célébration.
« Le mot publiquement a une certaine élasticité qui l'a fuit pré-
férer à tout autre ; étant susceptible d'une extension plus ou
moins grande, il a été employé afin qu'il put se prêter à l'inter-
prétation différente que les diverses églises et congrégations reli-
gieuses dans la Province ont besoin de lui donner, d'après leurs
coutumes et usages et les règles qui leur sont particulières, aux-
quelles on ne désire aucunement déroger. Tout ce qu'on a voulu,
c'est d'empêcher les mariages clandestins.
« Ainsi sont réputés fiits publiquement, ceux qui l'auront été
d'une manière ouverte et dans le lieu oii ils se célèbrent ordinai-
rement, d'après les unagen de Véijlise à laquelle appartiennent les
parties. »
— 41 —
Or, quelles sont les modes et prescriptions adoptées par le Code,
pour assurer et garantir la publicité du mariage 1
11 sont au nombre de quatre : (a) la célébration du mariage
devant le curé, ministre, etc., etc., chargé par la loi de la tenue
lies registres de l'état civil ; (b) les publications antérieures au
mariage, dans l'église à laquelle appartiennent les parties ; (c)
l'obtention des dispenses de publications données par les autorités
religieuses dont relèvent les parties ; (d) la signification de l'avis
d'opposition au mariage faite au fonctionnaire appelé à le célé-
brer : — voilà en substance, les règles énoncées dans les arts. 128,
129, 130, 134, C. C. et 1107, C. P.
Raisonnons un instant sur la lettre et l'esprit de la loi, car il y
a satisfaction, pour l'interprète d'une loi, de connaître le but,
l'objet et la raison de son existence.
Deux idées principales se détachent de la lecture et de la com-
paraison de ces textes, l'une absolument d'ordre public, savoir :
lo prévenir les -mariages clandestins ; 2o empêcher les mariages
qui pourraient être contractés entre mineurs malgré les prescrip-
tions de la loi, sans le consentement des parents, dans les cas
d'inceste, de mariage préexistant, de parenté et d'affinité au degré
indiqué par la loi; — l'autre raison s'appuie sur un ordre d'idées plus
intimes et plus sympathiques, et elle démontre la sollicitude du
législateur à ce que les unions soient durables et heureuses, et
partant, à ce que les obligations réciproques qui en découlent
.soient facilement remplies.
En efiét, le curé ou le ministre seront, sous ce rapport, les aides
les plus efficaces et les collaborateurs les plus puissants du lé-
gislateur et ils contribueront plus que tout autre à atteindre le but
qu'il s'est proposé, savoir : prévenir les mariages clandestins et
assurer le bonheur des familles. Le curé et le ministre protestant,
— nous les mettons tous sur le môme pied, — par leurs longs et
constants rapports avec leurs ouailles et les adeptes de leur culte,
— 42 —
connaissent mieux que qui que ce soit leur origine, leur âge, les
degrés de parenté, les relations de famille et de société, leur con-
dition sociale, etc., etc., puis, par l'influence morale qu'ils exercent
et la confiance qu'ils inspirent, les pasteurs deviennent le.s confi-
dents, les amis et souvent les aviseurs non seulement spirituels
mais aussi temporels des familles, dont nul autre ne possède et
souvent ne peut posséder certains secrets. Ils baptisent les enfanta,
leur enseignent les premiers principes de la religion, célèbrent
les mariages, enterrent les morts, s'associent aux joies et partagent
les douleurs de ceux sur lesquels s'étend leur juridiction
spirituelle.
Cette mission sacrée leur permet donc, dans les questions de
mariage, de remplir souvent un rôle bienfaisant : celui d'interve-
nir en temps propice, et de donner et offrir, ce que beaucoup de
gens voudraient mais n'osent faire, des conseils et des avis, soit
aux parents soit aux enfants, sans froisser aucune susceptibilité,
sans éveiller des soupçons et sans s'exposer à des. reproches. De
cette façon, des jeunes gens sans expérience sont protégés contre
les séductions ou les égarements des passions, et des mariages
fâcheux, qui créeraient des rapports d'alliance et de parenté mal
assortis, sont évités.
Cette mission du prêtre, bien comprise, le mettra en état de
s'opposer à des mariages contre lesquels les lois et les règles de
l'Eglise ont créé des empêchements, lesquels, découverts après le
mariage, auraient l'etfet de l'annuler. « Mieux vaut, dit Portails,
prévenir le mal en empêchant la célébration d'un mariage nul que
d'avoir ensuite à le repousser en l'annulant ».
Mais, est-ce bien le curé des parties qui coopérera d'une ma-
nière aussi avantageuse à l'application et à l'exécution des lois,
c'est-à-dire, à rendre les mariages publics, à empêcher les mariages
clandestins ou ceux contre lesquels il y a des empêchements ou
qui pourraient se contracter contre l'intérêt des parties et des
43
familles ; ou bien sont-ce tous les fonctionnaires chargés de-
la bonne tenue des registres de l'état civil — qu'ils appartiennent-
ou non à la religion des parties — qui pourront obtenir tel résul-
tat ? Si la dernière proposition était légalement et logiquement
acceptable, le législateur aurait d'avance bri^é son œuvre et
l'aurait rendu inefficace. Car, en quoi et comment un ministre ou
curé, professant un culte différent de celui que pratiquent ceux,
qui lui demandent de célébrer leur mariage, pourrait-il
<'tre utile, au point de vue de la loi, pour prévenir les maria-
ges clandestins, découvrir et connaître les empêchements qui
existent contre le mariage de ces personnes qu'il ne connaît pas,
qu'il n'a jamais vues, auxquelles il est indifférent et ne s'intéresse
nullement 1 II nous semble que la réponse s'impose et que le
législateur, pour donner une sanction certaine à la loi, a voulu
ou a du vouloir que les mariages ne soient célébrés que par le curé
ou ministre des parties.
Le législateur, comme mesure de prudence et toujours pour
rendre le mariage public, fait encore intervenir le curé dans les
publications qui doivent être faites préalablement au mariage,,
dans les églises auxquelles appartiennent les parties. Car ces pu-
blications ne peuvent être faites que par le curé desservant cette
église, c'est-à-dire, par le curé des futurs conjoints.
Si le code prescrit que ces publications soient données par le
curé et devant les fidèles réunis dans l'église à laquelle appartien-
nent ceux qui se proposent de s'unir en mariage, c'est pour la môm-i
raison que celle qui exige la présence du curé lors de la célébra-
tion ; — c'est afin que les coreligionnaires des parties, présumés le»
mieux connaître et être les plus en état de dévoiler aux autorités
les causes d'opposition au mariage projeté, soient avertis, pour
pouvoir agir en temps utile.
Peut-on supposer, pour un instant, que les codificateurs, après
avoir ordonné la publication du mariage : (a) dans l'église des-
— 44 —
parties ; (b) devant un public appartenant au culte des purties ;
<(c) par leurs curés ; (d) et après avoir laissé aux autorités; reli-
gieuses auxquelles sont soumises les parties, la discrétion d'accor-
der ou de refuser la dispense de telles publications, auraient,
après toute cette série de formalités remplies par le curé et les
autorités religieuses, dans l'église des parties, laissé ensuite les
gens libres de se marier devant n'importe quel autre prC'tre d'une
religion différente 1 Le fait ne nous parait pas raisonnable ni
vraisemblable. •
Notre raisonnement s'appuie sur d'autres articles de la loi..
Ainsi le Code de Procédure, art. 1107 dit : — « L'opposition et
l'avis doivent être signifiés tant au fonctionnaire appelé à célébrer
le maiiage qu'aux futurs époux ou à ceux qui les représentent, en
observant un délai de cinq jours intermédiaires avec l'addition
■ordinaire lorsque la distance excède cinquante milles.»
Or, quel est celui qui, d'après l'article 1107, est appelé à célé-
brer le mariage 1 A quel fonctionnaire l'avis ?era-t-il signifié ]
Mais, au curé ou ministre des parties, dira le praticien. — Et pour-
quoi 1 — Parceque le curé ou ministre, étant chargé par la loi de
la tenue des registres de l'état civil, et aussi de faire les publica-
tions préalables au mariage dans l'église des parties, est censé et
présumé avoir été accepté et choisi par elles comme leur fonction-
naire, pour la constatation dans les registres des faits les concer-
nant, tant et aussi longtemps qu'ils appartiennent à la religion
•de ce ministre ou curé.
Il ne viendra jamais à l'idée de personne, dans le cas de catho-
liques ou de protestants, de faire signifier l'avis de l'opposition à
■d'autres fonctionnaires qu'au curé ou ministre qui a fait les pu-
blications. — Et voudrait-on en agir autrement que la chose serait
impossible ; car si ce n'est pas à celui qui a publié le mariage et
au curé ou ministre des parties que l'avis doit être donné, à qui
le donnera-t-on 1 Personne alors ne pourrait deviner quel sera le
— 45 —
fouet ionuaire appelé à célébrer le mariage, car si les futurs con-
joiuts ont droit de le faire célèbre!' par un ministre de leur choix,
ils pourront se présenter devant lui à la dernière minute, éviter
par là la sig-nitication de l'opposition à tel fonctionnaire, puis
contracter un mariage clandestin ou contre leipiel il y a des em-
pêchements.
Mais cette liberté que l'on réclame de se marier devant le fonc-
tionnaire de son choix, ne peut être exercée qu'en autant qu'il se
trouve des fonctionnaires autorisés à en agir ainsi.
Si la loi ne donne pas tel pouvoir aux fonctionnaires de l'état
civil de marier indistinctement catholiques et protestants, cette
prétendue liberté devient illusoire. Ce n'est assurément pas la
dernière partie de l'art. 129 qui peut servir d'appui à ce principe
de liberté. Voici comment elle est rédigée : <( Cependant aucun
des fonctionnaires ainsi autorisés ne peut être contraint à célébrer
un mariage contre lequel il existe quelque empêchement, d'après-
les doctrines et croyances de sa religion, et la discipline de l'église
à laquelle il appartient. «
Or, si les ministres des différentes dénominations religieuses ne
sont pas tenus et ne peuvent être contraints de célébrer uu ma-
liage contre lequel il existe quelque empêchement, d'après les
doctrines de son église, ils ne peuvent pas être contraints, par
conséquent, de marier un catholique avec un protestant, ou de
célébrer un mariage de personnes dont ils ne sont pas les curés oa
ministres, s'il y a uuq règle de leur église le leur défendant.
Si cette règle existe, soit dans la religion catholii^ue soit dans
la religion anglicane, le protestant ne pourra pas exercer sa liberté
de se marier devant un curé catholique, et réciproquement uu
catholique devant un ministre anglican. Que devient la pré-
tendue liberté de se marier devant un fonctionnaire chargé de la.
tenue des registres de l'état civil, à quelque croyance religieuse
qu'il appartienne 1
46
Mais peut-on soutenir que, si on ne peut contraindre le fonc-
tionnaire, au moins ce dernier a la faculté et la discrétion
•d'agir 1 En réponse, nous dirons que ce fonctionnaire n'a, pour
l'accomplissement de ses devoirs publics, que les pouvoirs et
attributions conférés par la loi. Le pouvoir de discrétion, en ma-
nière de droit public, ne se présume pas, il doit être donné par la
loi. Elle n'en a rien fait ; au contraire, par la voix de ses rédac-
teurs, elle déclare qu'elle n'a voulu fiire aucune innovation.
Pour présumer la discrétion en pareil cas, il fiiudrait croire que
le législateur a supposé que des ministres seraient tellement
peu respectueux des croyances, des doctrines et des maximes de
leurs églises, qu'ils consentiraient à célébrer des mariages con-
trairement à ces maximes et croyances. C'est l'idée contraire qui
s'impose.
REGISTRES DE L'ETAT CIVIL
C'est la même idée que la loi a poursuivie en disant que les
Tegistres de l'état civil seront tenus par les curés catholiques, et
par les ministres protestants, suivant l'interprétation inévitable
des articles 42 et 44 amendés par l'article 5777 des Statuts Refondus
<le Québec. Elle a voulu assurer l'authenticité de ces actes, éviter
la confusion, faciliter la recherche de la filiation et des droits
.successifs, et aussi la découverte des cas de bigamie.
Si un catholique de Québec avait le droit de se marier devant
un ministre presbytérien, à Montréal, et de faire constater son
mariage dans les registres de l'état civil à ce dernier endroit, ou
encore, si un anglican de Montréal pouvait se marier devant un
■curé catholique, à Gaspé, comment pourrait-on savoir, après
quarante ou cin<:[uante années, où et de quelle manière ces
— 47 ~
mariages ont été célébrés 1 Par contre, cette recherche deviendra
très facile en appliquant la règle indiquée par le code, car il
suffira de se poser cette question : Quels étaient le domicile et la
religion de cette personne, et l'on trouvera tout de suite, dans
les registres de l'état du domicile de cette personne tenue par son
curé, les informations et renseignements désirés.
Les actes constatés dans les registres de l'état civil : la nais-
sance, le mariage et la sépulture, étant accompagnés de l'inter-
vention presque obligée de l'autorité religieuse et étant précédés
ou suivis de cérémonies religieuses présidées par le curé des parties,
on a cru tout naturel de lui confier la tenue de tels registres comme
étant le plus compétent et le plus en état d'authentiquer tels
actes.
Quelle est la loi relative à la tenue des registres de l'état civil 1
Les commissaires déclarent qu'ils n'ont rien changé à celle qui
était en force avant 1866, et cette expression d'opinion est soute-
nue par l'Hon. juge en chef Sewell dans la cause ci-dessus citée.
Avant la cession, en vertu de l'ordonnance de 1674, la tenue
des registres de l'état civil était confiée aux curés, et eux seuls
avaient le pouvoir d'authentiquer les déclarations y contenues.
C'était une conséquence logique de la loi concernant les mariages,
qui en exigeait la célébration devant le curé des parties, c'est-à-
dire que le fonctionnaire chargé de célébrer le mariage était le
seul qui avait le droit de le constater dans les registres.
Cette loi n'a pas été changée lors de la cession et a été con-
servée, et continuée, tel qu'en fait foi l'opinion du juge en
chef Sewell dans la cause Ex Parte Revd. George 8pratt et
rapportée à la page 90 de Stuart'.i Lower Canada Reports :
(( From thèse gênerai authorities it is évident — dit le savant
Juge — that the right of keeping aregister ofBaptisms, marriages
and sépultures, with the power of rendering the entries therein
made, Actes authentiques, or records which, by the twentieth
48
title of the edict of 1667, was, at the conquest, vested in the theu
parish priests of Cauada, Avas by law considered to be so vested
in them, not by reason of theii' spiritual or ecclesiastical character,
but because they were, by law, the acknowledged public officere
of the temporal government ; a few extracts will confirm this
inference : » « La loi veut que les actes de célébration de mariage
soient écrits et signés dans des monuments publics qui servent de
minutes.» — « Le ministre de l'église est comme àffi.cier public en
cette partie, et sou acte a autant d'autorité en justice, que la sen-
tence rendue par un juge, ou un contrat passé devant un notaire.»
Et le savant Juge ajoute plus loin : « Under the Ordinance
of the year 1667, which was the law antécédent to the Statute 35
George III, ch. 4, the keeping of Registers Avas entrusted to the
curés of the Roman Catholic Church, and to their successors in
office, and to sucli only ; and the curés were vested with this
authority as priests in holy orders, recognized to be such by law,
and as public officers in their respective stations. The late Pro-
vincial Statute, 35 G. III, does not chanije the character or qua-
lifications of the persons to whom the keeping of regi^térs is noir
to he entrusted. It extends the power of keeping registers, whe-
ther catholics or protestants, should be priests in holy orders,
recognized to be such by law, and public officers in their respec-
tive stations. The 15 section of the Statute accordingly enacts :
« That £0 much of the 20th title of an ordinance passed by His
Most Christian Majesty, in the month of April, in the year 1667,
and of a déclaration of His Most Christian Majesty, of the 9th
Apiil, 1736, Avhich relate to the form and manner in which the
registers of Baptisms, raarriages and burial.s, are to be nurabered,
authenticated and jjaraphé, kept and deposited, and the penalty
thereby imposed on persons refusing or neglecting to conform to
the provisions of the said ordinance and déclaration are thereby
repealed, « so far as relates to the said registers only ; » and con-
— 49 —
sequentlj the ordinance and déclaration aie not repealed with
respect to the cluiracter and quai Ijîcat ions oî ihe 2->ertsûtis hy whoni
thei/ are to le kept and by whoni tlie entries of baptisms, niarriages
and sépultures, are to be niade.»
Voilà doue l'interprétation donnée, par un homme éminent, à
une époque importante, de l'Acte de Québec et de ses conséquences,
relativement aux registres de l'état civil et de l'amendement aux
lois françaises par l'acte 35, Georges III, ch. 4.
Le juge en chef Sewell admet formellement que le caractère,
la qualification, et la qualité de ceux qui seuls avaient le pouvoir
de tenir les registres de l'état civil avant la cession, n'avaient pas
changé.
Or, avant la cession, le curé seul avait la qualité ou les qualifi-
cations requises pour célébrer les mariages des catholiques et tenir
pour eux les registres de l'état civil.
Si cet état de choses n'a pas changé, la conclusion est donc
facile à tirer : c'est que les registres de l'état civil ne peuvent
être tenus, par les ministi es ou curés, que pour ceux qui appar-
tiennent à leur culte, et que ces ministres ou curés ne peuvent
célébrer que les mariages de personnes appartenant à leur croyance
religieuse.
D'ailleurs, les codificateurs ont répété la même chose, lorsqu'ils
•disent à la page 156 de leur r^^pport, sous le titre ; Des actes de
VEtat Civil :
« Les dispositions de ce titre sont en grande partie tirées de
nos lois provinciales calquées elle-mêmes sur l'ordonnance de 1667
et sur la déclaration explicative de 1736.
« D'après le système qu'elles nous ont fait, la confection des
actes et la tenue des registres sont confiées aux ministres des dif-
férentes religions et congrégations religieuses. Ce système, qui est
à peu près celui suivi en France avant la Révolution, y a été
depuis supprimé ; le soin de rédiger les actes et de tenir les
\
— 50 —
registres a été confié, par le code, à des officiers puremeut civils,,
sans qu'il soit besoin de l'intervention du ministre de la religion.
« Ce nouvel ordre de choses, dû aux idées du temps où il fut
adopté, approuvé par les uns et critiqué par les autres, n'a pas.
paru aux Commissaires préférable à celui qui a été constam-
ment en usage dans le pays depuis son établissement, et qui
est si intimement lié avec ses institutions : ils croient devoir
conserver le système actuel et sont d'avis (|u'il ne pourrait être
supprimé sans de grands inconvénients ».
Enfin, les articles du code, interprétés suivant la raison, le bon
sens et d'après l'intention et l'esprit des codificateurs, et surtout
d'après les lois antérieures au code, auxquelles on n'a voulu ap-
porter aucune modification, nous enseignent qu'il y a deux classes
de fonctionnaires compétents à célébrer les mariages et à les en-
registrer dans les registres de l'état civil, savoir : les curés catho-
ques pour les catholiques, et les ministres de chaque dénomina-
tion religieuse pour les adeptes de chacune d'elles.
Mais il nous semble que dans les questions de célébration
de mariage et de tenue des registres de l'état civil, il aurait
euffi au législateur de déclarer seulement que les mariages
seraient célébrés et les registres tenus par les curés, prêtres,
ministres, etc., et laisser chacun libre d'agir d'après ses sentiments
religieux. Le résultat obtenu aurait été le même que celui prescrit
par le code.
Ily a une règle solennelle du droit public Anglais qui énonce
que Christianity is part and parcel of the common laœ of En-
gland. En effet, notre droit, non-seulement ne suppose pas que
les hommes sont sans croyances religieuses, mais il suppose
encore qu'ils croient aux grandes vérités du christianisme et de la.
Divinité, que chaque individu a une préférence plus ou moins
marquée pour un culte, qu'il en a adopté un et qu'il le pratique.
Or, si tous les hommes ont des croyances religieuses et (^ue ces.
— 51 —
croyances se manifestent et se pratiijiient différemment, devant
des interprètes et ministres diti'érent.s, il doit être raisonnable de
croire (£ue la loi, qui ne s'appuie pas seulement sur la raison, mais
qui est créée aussi d'après les sentiments innés, les dispositions
naturelles des citoyens, ait respecté les croyances de chacun et
lui ait permis de les expiimer sans contrainte, surtout dans les
trois grands événements de la vie humaine, savoir : la naissance
suivie du baptême qui est le commencement de la personnalité de
chaque individu, le mariage qui est la base de toutes les rela-
tions de famille et des successions légitimes, enfin le décès qui
met fin à la personnalité et donne ouverture à ces successions.
Et c'est en reconnaissance de cette r.ègle que le législateur a
associé la religion, quelle qu'elle fut, à ces trois actes de la vie hu-
maine, en en confiant la surveillance, la direction et la tenue com-
plète à des hommes ayant un caractère religieux, savoir : le curé,
le ministre, etc.
Or, au nom de ce sentiment de religion inné et présumé chez
tout homme, nous demandons aux pères protestants : Par qui
voulez-vous que votre enfant soit baptisé et que sa naissance soit
enregistrée dans les registres de l'état civil 1 Par le ministre de
son culte et dans les registres tenus par lui, répondra-t-il. Si vous
posez à un catholique la question suivante : Par qui voulez-vous
que votre mariage soit célébré et enregistré ? Il vous dira : Par le
curé ou un prêtre de ma religion et dans les registres tenus par lui.
Et tous, catholiques comme protestants, ne manqueront pas d'expri-
mer le vœu que la prière des morts soit faite sur leur tombe, et que
leur décès soit enregistré par le prêtre de leur religion et dans les
registres tenus par lui.
Or, s'il n'y a qu'une voix pour répondre aux questions posées,
il aurait fallut une bien sérieuse raison, une raison sociale et
d'ordre public, pour engager le Parlement à adopter une loi per-
mettant à chacun de se marier devant n'importe lequel des fonc-
— 52 —
tionnaires de l'état civil, lûrs!(iue personne, d'après ses instincts et
ses sentiments naturels, n'est disposé à réclamer et à se servir
d'une telle loi et de la liberté qu'elle coufore.
Quelle a été la raison déterminante du législateur d'ordonner
que le mariage fut célébré devant un fonctionnaire autorisé à
tenir et garder les registres de l'état civil ? Ayant constaté que
chez tous les peuples chrétiens, la naissance, le mariage et le décès
étaient accompagnés ou suivis de cérémonies religieuses, on a
trouvé tout naturel de confier la tenue, au point de vue civil, des
registres destinés à constater authentiquement ces trois événe-
ments, à ceux qui étaient chargés de présider à ces cérémonies
religieuses et de les constater, c'est-à-dire, aux ministres des diffé-
rentes croyances religieuses, pour chacune de ces croyances reli-
gieuses. Et divers statuts ont successivement permis à tous les
cultes existant dans ce pays ou à peu près de tenir les registres
de l'état civil.
INTERPRETATION DE L'ARTICLE 127 C. C
Il ne nous reste plus qu'à interpréter l'article 127 C. C.
La discussion de cet article a été omise dans le jugement sa-
vamment élaboré de l'honorable juge Archibald in re Delpit
vs Coté. Mais nous croyons que le silence ne doit pas se faire
autour d'un article sur lequel se fondent tant de prétentions.
Voici la teneur de cet article : « Les autres empêchements, admis
d'après les différentes croyances religieuses, comme résultant de
la parenté ou de l'affinité et d'autres causes, restent soumis aux
règles suivies jusqu'ici dans les diverses églises ou sociétés reli-
gieuses. Il en est de même quant au droit de dispenser de ces
— 53 —
empèchemeuts, lequel appaitieudra tel que ci-devaut, à ceux qui
en ont joui par le passé x.
Les mots « et d'autres causes » ne doivent être pris, dit-on, que
dans le même sens et la même signification que ceux qui les pré-
cèdent, et ne se rapportent qu'à des objets et sujets de même
ordre et de même nature ejusdem ijenerù des mots <( parenté et
affinité » qui les précèdent. Et cet article, ajoute t-on, ne parle
•jne des causes d'empêchements entre les parties, et non de la
nullité du mariage provenant de l'incompétence de l'officier.
En matière légale, cette règle est vraie parfois ; mais elle dis-
paraît, lorsqu'il y a des raisons démontrant que ces mots généri-
ques ne doivent pas être employés dans l'ordre limité d'idées
auxquelles appartiennent les mots qui les précèdent. Ainsi, cette
règle sera inapplicable à l'interprétation d'une loi d'ordre public
se rapportant à l'exercice de certaines prérogatives et immunités
octroyées par la constitution et l'autorité royale.
Voici ce que dit Endlicli. Iiiterpretatioa of Statutes, à la page
246 : a Wliere an unconstitutional effect would be the resuit of a
« strict or narrow construction, a broad and libéral one is com-
II manded. Thus, where the constitutionality of an act dépends
1 upon the construction of its language in a strict légal meaning,
« which -would hâve the etfect of limiting and destroying, whilst
« some other popular acceptation would support the act, the latte r
(I must be adopted )).
De plus, comme règle abstraite, les mots génériques reçoivent
leur pleine et entière signification, et les cours de justice n'ont
pas la liberté d'imposer à ces termes génériques une limitation et
restriction que ne justifieraient pas la loi et les statuts, auxquels
ils sont applicables et pour lesquels ils ont été créés et employés.
Si l'article était rédigé comme suit : » La parenté ou l'affinité
« et les autres empêchements, admis d'après les différentes croyan-
— !yi —
<( ces religieuses, restent soumis aux règles suivies jus(iu'ici ; ilans
<( ce cas, les mots '( autres empêchements n diraient et voudraient
dire des empêcliements ejusdevi (jenerls que la parenté et l'affinité.
Mais l'article ne se lit |)as ainsi. Il énumère des causes d'em-
pêchements et il dit les empêchements résultant [a) de la
parenté {Ji) de l'affinité ; (c) et (Vautres causes, c'est-k-dire,
des empêchements résultant d'autres tins, d'autres motifs et
d'autres raisons que la parenté et l'affinité.
Or les mots génériques et d'antres causes ne se lient pas aux
mots qui les précèdent et se rapportent à un tout autre ordre
d'idées et à un ordre général d'idées ditiereutes de celles expri-
mées par les mots jMt<?-e/ift' et affinité qui les piécèdent.
De même elle n'est pas absolue la règle d'interprétation, qui
dit que le titre d'une loi sert à l'interpréter. Prise à la rigueur,
cette règle nous amènerait à dire que le mariage n'est pas un
contrat, parcequ'il n'a pas été classé sous le chapitre du Code
Civil intitulé des contrats.
L'article 127 ne serait pas susceptible d'une double interpréta-
tion, s'il était rédigé en la forme du premier rapport des Codifi-
cateurs, qui se lisait comme suit : « Les autres empêchements,
admis d'après les différentes croyances religieuses, comme résul-
tant de la parenté ou de l'affinité au degré de cousins germains et
autres degrés, restent soumis aux règles suivies jusqu'ici dans les
diverses églises et sociétés religieuses ».
Cette première rédaction de l'article 127 ne mentionnait que
les empêchements provenant de certains degrés de parenté, indi-
qués dans l'article et aussi des empêchements provenant d'autres
degrés de parenté reconnus par les diverses églises.
Mais cet article, tel que suggéré, ne fat pas accepté par le
Parlement, qui adopta l'article 127 d'après sa forme et teneur
actuelles, suivant le rapport supplémentaire de la majorité des
commissaires, malgré l'objection de 1\[. le juge Day, un des com-
— 55 —
niissaires, formulée comme suit : « M. le commissaire Day a fait
objection. Il a différé quant aux changements proposés, parceque
l'addition des mots « autres causes » a l'effet d'étendre les causes
d'empêchements que l'article tel qu'adopté avait en vue, et lui
paraît reconnaître, comme empêchements légaux, certains obsta-
cles avi mariage qui dépendent des règles et de la discipline
ecclésiastiques, et qui n'astreignent que la conscience des parties
qu'elles concernent ».
Deux systèmes différents étaient donc soumis au Parlement par
les Commissaires :
lo L'un reconnaissait, comme empêchements légaux aux ma-
riages, ceux admis par les différentes croyances religieuses, comme
résultant seulement de la parenté ou de l'affinité au degré de cou-
sins germains et autres degrés ;
2o L'autre admettait, comme empêchements légaux aux ma-
riages, ceux admis par les différentes croyances religieuses, comme
résultant de la parenté et de l'affinité, et aussi et de plus des autres
causes, c'est-à-dire des causes autres que celles se rapportant à la
parenté et à l'affinité, mais résultant des règles et de la discipline
ecclésiastiques de chaque église, suivant l'opinion et l'interpréta-
tion donnée aux mots « d'autres causes », par le commissaire Day.
Le premier système a été écarté, et le second admis par le Par-
lement composé en majorité de protestants.
Le Parlement a dû vouloir étendre le sens et l'effet de l'art.
Ï27, en se servant des mots « d'autres causes t,, au lieu et place des
mots <( et autres degrés ». Car pourquoi, — lorsque son attention
était attirée d'une manière toute spéciale sur ce sujet — aurait-il
fait le changement, si ce changement n'avait aucune portée ou
conséquence, ou si les mots substitués n'avaient pas plus de valeur
que ceux en premier lieu employés 1
Si le Parlement avait accepté les vues du juge Day, s'il n'avait
— 56 —
pas voulu donner un effet et sens général aux mots « et d'autres
causes )>, s'il n'avait pas voulu étendre les causes d'empêchements
à toutes les règles des églises, il lui aurait été facile d'adopter des
termes restrictifs et de dire : et iVaatres causes de même genre et
nature. Il ne l'a pas fait et il a accepté un texte qui traduisait la
pensée claire et limpide de tous les Commissaires à savoir que lea
règles et disciplines générales des églises, constituant des empê-
chements, seraient reconnues en loi.
Comme conclusion, si une église prohibe ou défend la célébra-
tion des mariages de ses adeptes, devant un fonctionnaire autre
que le curé ou ministre des parties, sous peine de nullité et comme
étant mariage clandestin, telle règle sera admise et respectée par
la loi.
Les églises, quelles qu'elles soient, en adoptant telles règles et
en créant tels empêchements au mariage, ne font qu'exercer des
pouvoirs et des privilèges qui leur sont accordés par la liberté
des cultes. Car toutes les églises ont le droit d'établir pour leurs
adeptes des règles, des prescriptions et ordonnances relatives au
culte qu'elles professent et à la foi religieuse qu'elles enseignent.
C'est là un pouvoir inhérent à la liberté des cultes, et si elles en
étaient privées ce ne serait plus la liberté d'enseignement d'une
foi ou d'un culte.
C'est ainsi, au nom de cette même liberté, que la loi reconnaît
à toute religion le droit de régir spirituellement ces adeptes, tant
qu'ils veulent bien lui appartenir et se soumettre à ses lois. Les
différentes dénominations religieuses ont pourtant le pouvoir de
décréter quels sont ceux qui sont dignes ou indignes d'être
de ses membres, de faire des enquêtes, de prononcer des
sentences, des condamnations, des peines et même des expul-
sions. Or ce résultat n'est possible, ce but ne peut être atteint,,
l'existence de tel corps ne peut être maintenue qu'au moyen de
certains tribunaux établis par ces églises avec leur hiérarchie
spéciale.
— 57 —
Au surplus, quand on a garanti à une église sa liberté, on lui
a garanti par le fait même le libre exercice de sa juridiction,
dans toutes les causes et matières se rapportant à ses adeptes De
là le pouvoir de créer, pour ses adeptes, des empêchements au
mariage, lesquels sont reconnus et admis par l'article l'27, comme
s'ils y étaient énumérés et incorporés.
On objecte cependant, que ces empêchements créés par les
églises, entr'autres celui prohibant et défendant à leurs fidèles de
se marier devant le prêtre ou le ministre d'un autre dénomina-
tion, sont contraires à la liberté individuelle et à la liberté des
cultes.
Mais il faut bien s'entendre sur la valeur des mots « liberté
des cultes u.
C'est le droit, en vertu de la loi. de choisir le culte qu'il nous
plait de pratiquer ou celui de n'en pratiquer aucun, si nous le
jugeons à propos. Aucune contrainte ne peut être exercée à l'égard
des croyances, des pratiques et des enseignements religieux.
Cette faculté d'agir n'est gênée par aucune autorité, et il n'y a
aucun pouvoir ni loi qui obligent d'être catholique ou protes-
tant. Mais cette liberté du culte, comme toutes les autres libertés,
doit s'exercer dans certaines conditions, d'après certaines règles
organisées et dans des bornes et limites déterminées par la loi
elle-même. C'est ainsi que du moment que l'on a fiiit son choix
et option pour l'une ou l'autre de ces religions, ce choix nous
soumet à des prescriptions, à des lois et aux ordonnances de la
religion adoptée ou suivie.
Si la religion que nous professons nous oblige de faire célébrer
notre mariage devant notre curé, et si elle nous défend de le
contracter devant tout autre fonctionnaire, il faudra donc nous
soumettre à ces prescriptions. Si ces règles ne nous conviennent
pas, nous avons la faculté de nous en libérer en adoptant une
autre croyance. La liberté du culte nous laisse libres d'être catho-
— 58 —
liques ou protestants, mais tant que nous le sommes, nous devons
suivre les enseignements de l'une ou de l'autre religion.
Donc la liberté des cultes n'est nullement gênée par les règles
de l'église catholique ou des églises piotestantes, défendant à
leurs adei)tes de feire célébrer leur mariage par d'autres que par
leur curé ou ministre.
Une dernière objection s'apppuie sur ce que telle règle, si mise
en vigueur, aurait pour effet d'empêcher tout mariage de catho-
lique avec un protestant.
Cette J'ègle, en autant que l'église catholique est concernée,
n'est pas absolue ni inflexible. L'autorité qui l'a créée et établie,
comme toutes celles qui font des lois et des règlements, avait le
droit d'y apporter des restrictions, des exceptions ou d'en suspen-
dre les effets. Aiissi a-t-elle permis telle union dans certaines
conditions et dans certains cas et après certaines dispenses.
L'église catholique, pas plus que les autres dénominations,
n'encourage le mariage de ses adeptes avec les personnes d'un
autre culte, car elle redoute avec raison que l'influence morale de
l'un des époux ne réagisse sur la foi de l'autre. Néanmoins, elle
.subit et tolère tel mariage en certains cas. En effet, elle établit
une lègle certaine, empruntée au Concile de Trente, à l'eflet que le
mariage d'un catholique peut se faire avec un protestant, pourvu
qu'il soit accompagné de la bénédiction nuptiale d'un prêtre
catholique. C'est aussi en prévision, des nombreux cas ou les
futurs conjoints n'ont pas leur domicile au même endroit, que la
même église a adopté une règle permettant au curé de l'une des
parties de déléguer ses pouvoirs et de consentir à ce que le curé
de l'autre partie célèbre le mariage, le tout suivant les règles
suivies dans cette é'jliae.
Evidemment, l'article 127, par les mots » et antres causes »,
référait à des empêchements autres que ceux provenant de la
parenté et de l'affinité, et aussi à d'autres causes que celles men-
tionnées sous la rubrique, sous laquelle a été placé cet article.
— 59 —
L'article 129 emploie aussi le mot « empêchements », lorsqu'il
édicté que le fonctionnaire ne peut être contraint de célébrer un
mariage contre lequel il existe un empêchement, d'après les
croyances de la religion à laquelle il appartient. Quels sont les
empêchements établis par ces religions ] Nous ne le savons
pas. Mais quels qu'ils soient, ils ne sont pas assurément de la
catégorie de ceux énumérés aux articles depuis 115 jusqu'à 127 ;
et ces empêchements restent soumis aux règles suivies jusqu'ici
dans les diverses églises.
Puis, l'article 134 dit : « Il est loisible aux autorités en
possession jusqu'à présent du droit d'accorder des licences ou
dispenses pour mariage, d'exempter des dites publications ».
Quelles sont ces dispenses pour mariage 1 Nous les ignorons.
Mais nous comprenons que ce sont les dispenses levant ou écar-
tant certains empêchements. Quels sont ces empêchements 1
Nous ne pouvons les connaître judiciairement que par une
preuve légale. Mais encore, ils ditt'èrent de ceux ci-dessus indi-
qués et ils restent soumis aux règles suivies dans les diverses
églises.
Ces empêchements peuvent être multiples ou limités, mais
quels qu'ils soient, ils sont reconnus par la loi, et voilà pourquoi
l'article 127 ne peut être lu dans un sens restreint et limité.
JURISPRUDENCE
Nous aurions peut-être hésité à entrer sur un terrain légal, que
les circonstances ont rendu quehiue peu brûlant, si nos vues et
opinions n'étaient pas conformes à celles de nos devanciers dans
la magistrature et de nos collègues actuels, et si elles n'étaient
— GO —
pas soutenues par une juiispiudence assez fondée qui n'avait pas
été troublée jusqu'à tout dernièrement, et aussi par l'enseigne-
ment de pareille doctrine dans nos plus grandes universités, à
des élèves catholiques et protestants, par des professeurs compé-
tents, dont quelques-uns ont joué un rôle important sur notre
Banc Judiciaire.
Parmi les juges qui se sont prononcés dans le sens que nous
avons adopté et suivant les conclusions que nous avons prises,
se trouve surtout celui qui a le plus contribué à l'établissement
de la jurisprudence sous le Code, ancien législateur et professeur,
qui a une expérience judiciaire d'au delà de cinquante et quelques
années, et que son indépendance de caractère a mis au-dessus de
tous les préjugés nationaux et religieux : Xous parlons de l'hono-
rable juge en chef actuel. Sir L. X. Casault.
Voici comîiient il s'exprimait dans la cause de L'Heureux con-
tre Budgess, dont les notes de jugement, qui n'a pas été publié,
sont en ma possession, grâce à l'obligeance de l'honorable juge ;
— K L'indissolubilité du mariage, que prononce l'article 185 C. C,
ne fait pas non plus obstacle à une poursuite en nullité. Cet
article décrète que le mariage régulièrement contracté entre par-
ties, auxquelles la loi permet cette union, ne peut être dissout
que par la mort de l'une d'elles. Mais quelques régulières qu'eus-
sent été ses formes extrinsèques, quelque parfait qu'eût été leur
consentement, l'union de deux parties auxquelles la loi la défend
ne produirait p.is un mariage indissoluble, ni même un ma-
riage qui aui-ait des effets légaux autres que ceux résultant
de la bonne foi des parties contractantes ou de l'une
d'elles (Art. 163, C. C.) Le jugement qui prononce la nul-
lité d'un semblable mariage ne le dissout pas. Il n'y a pas eu
mariage légal, et il ne peut pas y avoir dissolution du lien
matrimonial qui, aux termes de la loi, n'a jamais existé.
« Je ne parle, bien entendu, que du contrat civil que produit
— el-
le maiiage, du maviage qui donne aux enfants la légitimité et la
succe^ision aux biens de leui-s parents, et à la femme l'incapacité
4ui la met sous la puissance du mari, du mariage qui produit la
communauté de biens, le douaire et tous les droits et toutes les
obligations «lue le Code Civil tUit au mari et à la femme. Ce ma-
riage ou si l'on veut, ce contrat, n'a d'existence que celle que lui
reconnaît la loi humaine ; c'est la justice civile qui prononce sur
sa validité. L'action des tribunaux civils est quant k lui parfaite-
ment indépendante de toute autre autorité, même de l'autorité
religieuse.
.( Ces cas sont bien les seuls où il les prohibe et où, par là
même, il le déclare nul, les lois prohibitives entraînant toujours
la nullité de ce qu'elle défendent. Art. 14, C. C. Mais il recon-
naît l'existence d'autres empêchements à l'art. 127 ; ce sont ceux
admis par les différentes croyances religieuses comme résultant
de ïa parenté, de Vaffiriité et d'autres causes. Quant^^e ux-là, il3 __
conservent les règles suivie s jusqu'à sa date , dans leg^différentes
(îglîsés et sociéîés religieuses.
« C'était là faire des règles, suivies jusqu'alors dans les diverses
églises quant aux autres empêchements, autant de règles spéciales
du droit civil pour les membres de ces églises, c'était décréter
que les empêchements reconnus dans ces églises avaient leur effet
dans le droit civil. Le législateur n'a pas cru devoir les énumé-
rer ce qui eut pu être le sujet d'erreur ; il s'est borné — c'était
la législation la plus sage — à faire aux citoyens une règle de
droit civil de ce qui était pour eux, sous ce rapport, une règle de
droit religieux. Ils sont par là même tous incorporés dans le
Code Civil aussi effectivement que s'ils y étaient tous reproduits,
avec déclaration que tels et tels ne s'appliquent qu'aux membres
d'une église, et tels et tels à ceux d'une autre. Dans les articles
124, 125 et 126 le Code fait des défenses à tous les citoyens, sans
>-
/
— Q'2 —
distinction de croyance ou de religion ; dans l'article 127 il
donne la sanction de la loi à celles que les différentes religions
font à leurs membres ; mais pour ces dernières, il ne prononce
pas de prohibitions comme pour les autres, il en autorise les dis-
penses que reconnaissent les différentes religions, et il conserve
le droit de les accorder aux autorités qui jouissaient de ce privi-
lège auparavant.
« Le Code Civil, en conservant leur effet aux empêchements
admis à sa date, par les différentes croyances religieuses, sans les
"plus spécialement indi(|uer, oblige les tribunaux de les appliquer
dans tous les cas où leur effet est invoqué devant eux et où. ils
sont, par une preuve légale, constatés exister. La loi ne les défi-
nissant pas et les empruntant, pour ainsi dire, aux différentes
croyances, se sont celles-ci qui en déterminent l'existence et les
effets ".
Les honorables Juges Jette, Papineau, Mathieu et Bourgeois
se sont tous exprimés à peu près dans le même sens dans les
causes suivantes :
Mignault vs Hapeman, 10 L, C. J., p. 137.
Valade vs Cuuslneau, 2 R. J. 0., C. S.
Langevin vs Barrett, 4 R. L., p. 160.
Glohensktj vs Wilson, 2 M. L. R., p. 174.
Laramée vs Eoans 24 L. C. J., p. 235.
Dans la cause de Lussier vs Archambau/t, 11 L. C. J., le juge
Rolland et deux juges anglais, Day et Smith, avant de dissoudre
le mariage atta(iué pour cause d'impuissance (c'était une cause
en annuUation reconnue par la loi civile), ont ordonné au deman-
deur, avant faire droit, de se pourvoir devant l'autorité ecclésias-
tique, à l'effet de faire procéder à la dissolution de son mariage,
si la dite autorité religieuse, jugeait convenable de le faire, pour
— 63 —
ensuite et en conséquence de la dite autorité religieuse, être pro-
cédé par la Cour Supérieure à adjuger sur la demande.
Cette décision se rendait jusqu'aux dernières limites de la doc-
trine de l'église catholique qui prétend avoir le droit exclusif de
créer et de dissoudre le mariage, pour cause.
Nous avons dit intentionnellement juges anglais, afin de calmer
les appréhensions et les susceptibilités toujours si facilement
mises en éveil, lorsqu'il s'agit de questions quasi-religieuses.
Or, nous nous demandons qu'elle est la raison d'ordre social ou
d'ordre public qui nécessite le changement d'un état de choses,,
existant depuis au delà d'un siècle, et qui devrait écarter une règle
de droit qui n'a créé aucun conflit et qui semble avoir été admise et
reconnue jusqu'à présent par les différentes dénominations reli-
gieuses, catholiques comme protestantes. Ce ne peut certainement-
pas Être dans l'intérêt ou l'avancement d'aucun culte, car il
est impossible de supposer pour un instant, qu'une croyance
religieuse qui se recrute dans les rangs des citoyens éclairés et
bien pensants, se glorifierait de la célébration, par ses ministres,,
de mariages de jeunes filles ravies ou laissant subrepticement le
domicile des parents, et de jeunes gens en rupture d'autorité pater-
nelle, lesquels ne rechercheront pas le ministère de ce fonction-
mire par respect pour lui ou pour sa religion, mais parceque ce
fonctionnaire se prête complaisamment à un acte que réprouvent les
parents et amis de ces jeunes gens. Ces sortes d'unions d'ailleurs-
aboutissent toujours à des séparations humiliantes et scandaleuses,,
et pour les époux et pour leurs familles, comme la chose est arri-
vée dans presque tous les cas de cette nature, qui sont venus
devant les tri'-mnaux, entr'autres dans les causes ci-dessus citées.
En résumé, nous disons (a) qu'en vertu de la loi seulement, le
mariage de parties, célébré par un prêtre ou ministre professant
un culte autre que celui auquel elles appartiennent, est nul ; {h)
que si avant 1866 une église quelconque a décrété, pour ses adep-
64
t gs, un empêchement à un mariage et que ce mariage soit célébré
contrairement à cet empêchement, le tribunal doit, — sui" pour-
suite en nullité d'un mariage contracté en contravention à tel
empêchement, et sur la preuve légale de tel empêchement —
ordonner la nullité de ce mariage, pour les tins civiles seulement ;
(c) que le mariage dans la présente cause est nul pour avoir été
contracté, lo en fraude de la loi, 2o par un fonctionnaire qui
n'était pas le curé du domicile des parties.
]S^ous sommes donc d'opinion de reviser le jugement de la cour
de première instance, qui n'a maintenu que la séparation de corps,
et d'annuler et déclarer nul, pour les fins civiles, le mariage de la
demanderesse avec le défendeur.
,J^ yjy, ^yu, ^,^ -At ^> W,^ -^? »-^r T^Ay ^ ^ ,-A^ ^\y fA, ^ yA^ yA^^A, ^ >Ay ,
v{:\<2xH\'a\'a\\a'iSkXivox :-\rA T:,\ c\ a\ cvi\r;\
"r~. :<^'-^ *^/-i *v^ *-^ *-vr* *v^ *-\/~* *V"^ *v^ *Ar* 'v* *v*
II
CONSIDERANTS DU JUGE LEMIEUX
ARTICLES ANALYTIQUES
DE
M. l'abbé ELIE-J AUCLAIR, ptre
Para!« dans la " Semaine rellgiense " de Montréal, les 3, 10 et
34 juin, et le S juillet 1901
1er ARTICL.E
AVANT-PROPOS
§ES juges et les magistrats ont une belle mission à remplir
dans la société. Appliquer les lois et faire triompher la
- - justice, c'est assurément de toutes les fonctions sociales
l'une des plus hautes et des plus dignes de respect.
Mais aux juges comme aux autres il arrive de n'être pas parfaits
dans tous leurs jugements, puisqu'ils sont encore des hommes.
Voilà pourquoi sans doute il y a des Couis de Eevisiou.
— 66 —
La Cour Supérieure, siégeant en Révision à Montréal — les
Honorables juges Mathieu, Curran et Lemieux étant sur le banc —
renversait l'autre jour (17 mai 1901) un jugement de l'honorable
juge Lynch dans la cause Durocher r.s Degré, établissant ainsi
à nouveau, contrairement à ce qu'avait décidé l'honorable juge
du district de Bedford (le juge Lynch) et contrairement aussi,
semble-t-il, à ce que vient de décider Son Honneur le juge Archi-
bald, à Montréal, dans la cause Delpit, que, devant la loi de notre
pays, le mariage de deux catholiques en présence d'un autre mi-
nistre que leur curé ou son déléguées^ nul et doit être déclaré mil.
Les faits sont connus : le 30 juin 1891, deux catholiques, Jo-
seph L»egré et Marguerite-Elisabeth Durocher, mineurs tous les
deux, quittaient momentanément leurs paroisses respectives au
Canada, et allaient se marier à East Franklin, Yermont, Etats-
Unis, devant M. Edwin Prouty, minuter uf the Gospel. Ils revint
rent au Canada, vécurent maritalement et des enfants naquirent de
leur union. Le 13 novembre 1899, l'Ordinaire de Saint-Hyacin-
the déclarait le mariage Degré-Durocher nul parce que clandestin.
Le 3 janvier 1900, la dite M.-Elis. Durocher poursuivait le dit
J. Degré en nullité de mariage devant les tribunaux civils. Le 7
mai 1900, Son Honneur le juge Lynch renvoyait cette demande
en nullité de mariage et ne maintenait que la demande en sépa-
ration de corps.
C'est ce jugement qui vient d'être renversé quant à sa première
partie. Les trois juges Mathieu, Currau et Lemieux ont été una-
nimes à décider que le mariage était nul tt devait être déclaré
nul.
L'honneur délicat d'élaborer le texte du jugement à prononcer
avait échu au juge Lemieux. Il a été digue de sa haute réputa-
tion de légiste et d'orateur.
Ici, à Sherbrooke, oii siège d'ordinaire M. le juge Lemieux —
j'allais dire oii il demeure, mais il ne faut pas oublier que les
— 67 —
charmes de non vieux Québec ne nous le laissent que tout juste le
temps que ses hautes fonctions le requièrent ! — ici, à Sherbrooke,
dis-je, où Son Honneur compte tant d'admirateurs et d'amis, on
n'est certes pas étonné de saisir, dans le superbe document que
forme le jugement (( Lemieux », comme à travers les mailles
d'une vigoureuse et lucide argumentation, ce courant sympathi-
que, cet accent ému, ce joli frisson oratoire qui rappelle dans le
digne magistrat d'aujourd'hui le distingué criminaliste qu'il était
jadis, l'orateur aimé, le discoureur ardent, au cœur généreux, tou-
jours prêt à plaider, qui faisait dire de lui par l'un de ses admi-
rateurs un peu naïf: M. Leiiùeux, mais iJ fait rien, il parle-
toujours !
^on, rien d'étonnant, pour qui connaît M. Lemieux et a eu
l'avantage de l'entendre, à ce que cette magnifique argumenta-
tion légale soit aussi une pièce d'éloquence !
Pourtant, toute belle et tout intéressante qu'elle est, je suis
porté à croire que beaucoup ne l'ont pas lue 1 Elle remplissait
trop de pages dans les journaux. Pensez donc, vingt colonnes de
cent cinquante lignes chacune... !
« Est-ce long ] », me demandait un vénérable curé, alors que
je lui parlais d'un bel article d'une revue quelconque. Et moi de
dire : « vingt pages ». — « Ah ! si vous croyez que je vais tout
lire ça... »
Si donc on le veut bien, nous allons résumer. Même le résumé
ne sera pas très court, mais j'ose espérer qu'il permettra à tous
ceux qui ne sont pas fimiliers avec les choses du droit de mieux
saisir peut-être la portée morale de l'acte de justice que vient
d'accomplir la Cour de Révision.
Qu'on remarque bien que je ne prétends en rien servir du neuf
•et de l'inédit. Voici mon but. L'Eglise, par le célèbre Caput
Tametsi du concile de Trente, publié en notre pays, oblige
— 68 —
les catholiques à se marier devant hur cnrê, et cela, sous peine
de nullité du mariage. Or, au (Axnada, l'Eglise et l'Etat tout en
vivant en bons termes ne sont pas d'accord sur tous les points.
Qu'ariive-t-il de celui-ci 1 (^)ue dit notre loi civile 1 Voilà la
question. Et je vais prendre la réponse tout entière dans le fac-
tura de M. le juge Lemieux.
Pour la décider, cette question, l'Honorable magi^rat considère
d'abord l'esprit général de notre droit civil, tel que les circons-
tances nous le montrent, dans la pratique, dès avant la cession et
depuis la cession jusqu'à l'adoption du Code Civil.
Il étudie ensuite l'intention des codificateurs de 1866, selon
qu'elle se manifeste dans les différentes dispositions légales qui
touchent indirectement le point en litige.
Il discute enfin l'article 127 du Code Civil, qui lui paraît régler
assez directement la question, et il conclut.
Nous nous arrêterons à chacun de ces trois considérants dans
des articles séparés que nous servirons bientôt à nos lecteurs.
Cette question du mariage des catholiques devant des minis-
tres protestants est malheureusement trop pratique en nos contrées.
Il est plus qu'utile de connaître ce que dit la loi de notre pays à
son sujet. Ce que pense l'Eglise, ce qu'elle enseigne et ce qu'elle
ordonne, le magistral exposé qu'a fait, dans ces mêmes pages de
la Semaine, M. le chanoine Archambeault, nous l'a admirable-
ment et clairement rappelé. Demandons maintenant au juge Le-
mieux ce que pense, ce qu'enseigne et ce qu'ordonne la loi civile.
Nous y viendrons dans uu prochain article.
1
— 69
Sme ARTICLE
1er CONSIDÉRANT
L'Esprit général de notre Droit Civil dès avant la
Cession et depuis la Cession jusqu'à
l'adoption du Code Civil.
Avant d'aborder la question i)rincipale, et comme par manière
de préambule, Son Honneur explique que s'il y a eu fraude à la
loi dans le mariage « Degré-Durocher (( , cette faude n'a pas pu
être ratifiée subséquemment par la volonté des parties, le laps de
temps écoulé, ou la possession d'état. La raison en est bien sim-
ple. Il s'agit dans la réglementation des mariages de lois qui sont
d'ordre public. Les fraudes contre de telles lois sont essentielle-
ment illicites. Contre tout acte qui s'en écarte, la volonté formelle
du législateur proteste sans cesse. D'où, l'on ne prescrit pas con-
tre de telles lois, et le savant juge cite ses autorités. Il résulte de
là que le mariage, s'il a été fait en fraude de la loi, laquelle
est d'ordre public, est nul per se et le demeure toujours. Le ma-
riage étant nul, l'acte le constatant est nul aussi, car 1;^ valeur de
ce document officiel cesse évidemment devant la preuve de la
nullité du mariage qu'il attestait.
70
La cour n'a donc à s'occuper que d'examiner si, d'ai)rc's la loi,
le mariage « Degré-Duroclier », fait devant ^I. Prouty, a été de
ce fait, oui ou non, entaché de fraude viciant son essence même.
Et la cour va répondre oui, parce que, va soutenir Son Honneur,
la loi dans notre pays ne permet pas à deux catholiques de se
marier devant un autre prêtre ou ministre que leur propre curé
ou son délégué.
Mais avant d'arriver à la conclusion il nous feut bien étudier les
considérants que nous avons indiqués dans notre dernier article.
Soit donc pour aujourd'hui le premier considérant.
*
* *
Le distingué magistrat, au moment où il va répandre les clartés
de l'histoire du droit sur le sujet qu'on avait réussi récemment à
embrouiller par des subtilités, tient à préciser la question et
rappelle, en paroles dignes et courtoises, les prétentions de Mtre
Lafleur dans la cause « Delpit-Coté », à savoir: lo Que le mariage
en notre pays, peut être célébré devant tout fonctionnaire autorisé
à tenir les registres de l'Etat Civil, que les parties soient ou non
de sa confession religieuse ; 2o qu'obliger les parties à se marier
devant leur curé c'est un attentat à la liberté ; 3o qu'aucun texte de
notre Code Civil n'oblige les parties à se marier devant leur curé
ou ministre.
On se souvient que ces allégués ont triomphé devant l'Hon.
juge Archibald. Pour ce qui est du dernier allégué le juge Lemieux
s'en occupera surtout en discutant l'article 127 C. C. Quant aux
deux premiers, dont l'un (le 2o) est la raison de l'autre (du lo), leur
ensemble forme le gros point noir qu'il s'agit d'éclaircir à la
lumière de l'histoire du droit civil eu notre pays. Suivons ^L le
juge à l'œuvre.
— 71 —
En mettant de côté les textes de loi qu'il raijporte, et en
supposant connus les témoignages d'auteurs qu'il cite, ce sera
très simple et très clair, nous osons l'espérer. Pour plus de clarté
nous plaçons le tout sous une rubrique numérotée.
lo Lors de la Cession, les lois civiles françaises étaient évidem-
ment en vigueur au Canada. Pothier expose que ces lois exigeaient
que les mariages fussent célébrés devant les curés des parties.
Conjointement, le Rituel de Mgr de Saint-Valier atteste que les
catholiques étaient tenus de se marier devant hur curé (ou son
délégué) sous peine de nullité. C'était l'application du Capot
Tametai !
2o A la Cession, '( les lois du pays conquis continuant d'être en
force jusqu'à ce qu'elles soient changées par le conquérant, )i les
lois françaises, quant au mariage, ont continué de s'appliquer,
puisqu'elles n'ont pas été changées, et le juge Lemieux cite
Lord Manstield, le juge en chef Marshall et Blackstone.
De ces citations solides autant (ju'autorisées s'élevant alors à
des considérations élevées, où le souffle oratoire se sent plus à
l'aise, l'éloquent magistrat expose d'une façon remarquable la
philosophie de l'histoire de notre Droit Civil, à cette époque
décisive. Qu'on nous permette de citer textuellement cette belle
page oîi la générosité d'une âme française s'allie lièremen^ au loya-
lisme de bon aloi d'un sujet britannique : (Voir pages 22 et 77).
« Or, si, en vertu du droit international, on a conservé les lois
« inhumaines et barbares de pays non civilisés conquis par la
<( Grande Bretagne assurément il ne s'est jamais présenté
« à l'esprit des hommes publics d'Angleterre d'enlever les
<( coutumes policées et les lois prises aux plus pures sources du
« droit, à un peuple faible et vaincu, qui n'avait eu d'autre tort
« que celui d'être loyal envers un prince qui préférait écouter
« des paroles de mépris tombant des lèvres d'une courtisane, au
— 72 —
« sujet de ces arpents de neige rougis du sang de ses sujets,
« plutôt que d'admirer leurs nobles efforts pour rester fran-
« rais. )i
« Il n'est certes jamais venu ii l'idée des grands hommes d'Etat
Il anglais d'enlever aux habitants du pays les lois réglant les rap-
t( ports de citoyens entre eux et leurs propriétés, et paiticulière-
« ment les lois concernant le mariage, non plus que la liberté de
« pratiquer une religion morale, la plus ancienne de toutes les
« religions chrétiennes
(( Elles sont palpitantes d'intérêts les belles pages de l'histoire
« d'Angleterre, dans lesquelles sont consignés les paroles et les
« discours de Pitt, de Fox et de Burke, au sujet de la constitution
« à être donnée à la nouvelle possession acquise à la couronne
<( d'Angleterre. »
(( De cette discussion se détache une idée de liberté qui,
<( d'ailleurs, ])arcourait alors le continent européen, et aussi des
« sentiments de magnanimité envers un peuple écrasé, que l'esprit
« pratique de l'Anglais cherchait à ramener doucement mais
« sûrement au nouveau régime. »
Voilà pour le moment de la Cession.
3o L'acte de Québec (1774), l'acte d'Union (1840) et l'acte de
la Confédération (1867) maintiennent au Canada les lois civiles
françaises et conservent aux catholiques la liberté de leur
culte.
D'où l'honorable juge est en droit de conclure, avant de s'occu-
per spécialement de la codification de 1866 que, d'après les actes
mêmes qui ont donné les différentes constitutions sous lesquelles
notre pays a vécu, au point de vue légal et pour ses fins civiles,
le mariage des catholiques a toujours dû se faire et doit se faire,
sous peine de nullité, devant le curé des parties, puisque c'est là
ce qu'exigeait et ce qu'exige l'ancienne loi civile française tou-
jours et encore en vigueur.
— 73 —
Objections
Que si on objecte que les Anglais ne pouvaient pas se soumet-
tre à une loi contraire à la loi commune d'Angleterre qui permet
le. mariage purement civil, le juge Lemieux répond d'abord (lo)
que les formalités requises comme essentielles par les lois fran-
çaises (les publications dans les églises des parties et la célé-
bration du mariage devant leur curé) ne devaient pas tant répu-
gner après tout à ceux qui étaient d'un pays (l'Angleterre) où ces
mêmes formalités avaient été en honneur jusqu'à la Eéforme ;
que du reste (2o) il ne s'agissait pas du tout de soumettre les pro-
testants à se marier devant les catholiques ; et qu'enfin (3o) cette
répugnance — eut-elle existé — ne pouvait rien contre les lois
internationales. L'esprit anglais en avait subi bien d'autres à la
conquête des pays barbares.
Et pour confirmer cette solution d'objection, qui est claire
comme de l'eau de roche, le savant magistrat en appelle au juge
en chef Sewell qui, en 1816, dans la cause ex parte duEév. Spratt,
admet parfaitement l'existence des lois françaises relativement au
mariage et s'appuie sur elles pour refuser la pétition du susdit
Rév. Spratt de tenir registres.
Ces considérations, tirées de l'histoire du droit en ce pays, amè-
nent à la conclusion que non seulement le droit international
mais que même la volonté du souverain anglais, laquelle sanc-
tionnait les actes de Québec, d'Union et de la Confédération, a
maintenu les lois civiles françaises au Canada.
Mais on a soutenu récemment (atiaire Delpit-Coté), poursuit
rhoncrable juge Lemieux, qui parait ne vouloir rien laisser dans
l'ombre, que le mariage n'est pas réglé par les lois civiles, et cpie,
— 74 —
par conséquent, même en admettant que les lois civiles françaises
aient été conservées au Canada, les dites lois sont étrangères au
mariage 1
Cette prétention a été, affirme-t-il, « une révélation pour les
hommes de droit familiers avec notre Droit canadien n. (Voir page
36). Car, par quelle loi alors le mariage serait-il régi ? On ne le
voit pas très bien.
D'ailleurs, l'étude du Droit amène à ranger les lois relatives au
mariage parmi les lois civiles. C'est aussi ce que font et le Code
Napoléon et notre Code Civil !
Comme on le voit, ce premier considérant projette une grande
lumière sur toute la question. Mais il fallait préciser davantage.
Il fallait étudier l'esprit et la lettre de notre Code Civil, afin de
mieux constater jusqu'où la législation actuelle s'harmonise avec
celle qui réglait les mariages de nos pères. Le distingué magis-
trat ne s'arrête pas en aussi beau chemin. Nous tâcherons d'étu-
dier prochainement comment il continue et parachève son savant
et éloquent dictuin. ,
— 75 —
3me ARTICLE
2me CONSIDÉRANT
L'Esprit des Codificateurs de 1866
Au considérant, dont nous avons parlé dans notre dernier arti-
cle, lequel était tiré, nos lecteurs s'en souviennent, de notre droit
civil et de ses relations avec les lois civiles françaises, conservées
au Canada, M. le juge Lemieux en ajoute un autre, dont il faut
admirer tout autant la lumineuse exposition et dunt il convient
d'apprécier la force probante. L'honorable magistrat cherche son
point cette fois dans Vesiirlt des codificateurs de 1866. Il s'agit
encore de Vesprit de la loi : nous verrons plus tard comment il
interprète la lettre même du Code, ait. 127. Ce ser.i la matière
d'un quatrième et dernier article.
Que si nous réussissons à bien saisir Teuprit descodificat-ursde
1866, à bien entendre leur intention, manifestement exprimée
alors même qu'ils ne touchent pas directement le question en liti-
ge, nous serons plus à l'aise évidemment pour scruter ensuite les
textes qui paraissent toucher directement le point contesté. En
etfet, dans l'interprétation de toute loi, les textes doivent s'expli-
quer et se compléter et non pas se contredire et se détruire les
uns les autres.
Que voulaient donc les savants jurisconsultes qui ont élaboré,
en 1866, notre Code Civil % Youlaient-ils établir un système
— 76 —
nouveau 1 Ils s'en défendent explicitement. Ils voulaient que la loi
veillât clairement à assurer le bonheur des familles, en prévenant,
autant que possible, les mariages clandestins et leurs funestes
conséquences ; et, pour cela, ils ont statué et exigé la publicité
des mariages (C. C. art. 128).
Le Code, par leurs soins, a donc déterminé les modes de publi-
cité ; ils sont au nombre de quatre : lo la célébration du mariage
■devant le curé ou ministre... chargé de la tenue des registres de
l'Etat civil ; 2o les publications antérieures au mariage, dans
l'église à laquelle appartiennent les parties ; 3o l'obtention des
dispenses de publication, données par les autorités religieuses
dont relèvent les parties : 4o la signification de l'avis d'opposi-
tion au mariage, qui doit être faite, quand il y a lieu, au fonction-
naire appelé à célébrer le dit mariage aussi bien qu'aux parties
elles-mêmes.
Que nous enseigne ce dispositif ?
lo Pourquoi d'abord le curé ou ministre est-il chargé de la
tenue des registres 1 Mais, précisément parceque, par sa fonction
sociale même, il est le plus en état d'aider la bonne application
de la loi. Qui pourra mieux que l'aviseur spirituel conseiller les
futurs époux et veiller à là publicité des mariages ? L'aviseur spi-
rituel est en effet un conseiller naturel, dont il est sage de recon-
naître l'influence en matière de vie morale et de vie sociale. Et,
ici, l'éloquence du juge Lemieux se permet une envolée qui ac-
centue admirablement la force de son aigumentation. Un senti-
ment délicat perce à jour les allégués de ce légiste qui sait rester
toujours un penseur et un chrétien. On sent qu'il comprend le
grand et beau rôle de l'aviseur spirituel. Cela fait du bien à l'âme,
et M. le juge, s'il lit ces lignes, voudra bien qu'on lui dise que sa
manière de comprendre le prêtre console de bien des ennuis et de
bien des mécomptes éprouvés ailleurs.
Or, argumente M. le juge, pour que le curé ou ministre puisse
• — 77 —
vraiment aider la loi et la publicité des mariages, qui ne compren-
drait pas que ce curé ou ministre doit être le curé ou ministre des
parties ? S'il ne les connaît pas ces parties, si elles ne sont pas ses
ouailles, son rôle va se réduire nécessairement à celui d'un fonc-
tionnaire d'occasion. Comment alors connaîtrait-il les empêche-
ments 1 Comment préviendrait-il les mariages malheureux ?
Comment serait-il utile au bonheur des familles 1 Evi-
demment le curé ou ministre chargé de tenir les registres ne doit
pas être un fonctionnaire d'occasion. Ce n'est pas là Vet<prit de
la loi.
2o Comment prétendre en second lieu, poursuit M. le juge,
qu'après avoir ordonné la publication des futurs mariages dans
l'église des parties, devant leurs coreligionnaires, par leur curé,
laissant d'ailleurs aux autorités religieuses dont elles relèvent la-
discrétion de dispenser de cette publication, comment prétendre
que les codificateurs aient voulu laisser les gens libres de se
marier devant n'importe quel prêtre ou ministre de n'importe
quelle religion 1 Et Sou Honneur répond carrément : « Le fait
ne nous paraît pas raisonnable ni vraisemblable ». En effet, il est
clair que ce n'est pas là Vesjjrlt de la loi.
3o En troisième lieu, il y a la question de l'avis de l'opposition
au mariage qui doit être signifié, quand il y a lieu, aussi bien au
fonctionnaire appelé à célébrer le mariage qu'aux futurs époux
eux-mêmes. (C. P. 1107).
Quel sera donc ce fonctionnaire 1 N'importe qui ? Mais alors
où le trouver ? Si on ne le connaît pas, comment le prévenir '\
Allons donc ! ce serait une impossibilité prati(iue. C'est
plutôt le curé ou ministre des parties et ce n'est pas un
fonctionnaire quelcouiiue que veut l'esprit de la loi.
4o Allons plus avant. Cette liberté de se marier devant
n'importe quel fonctionnaire civil, en supposant q'uelle existe, ne
peut s'exercer qu'en autant que les parties trouveront, d'après
- 78 -
la loi, des fonctionnaires capables de marier indistinctement des
catholiques ou des protestants. Or, y en a-t-il 1 Procédons par
ordre.
a) D'abord la loi ne donne certainement pas aux parties le
droit d'exiger d'un curé ou ministre qu'il célèbre leur mariage,
s'il n'est pas leur propre curé ou ministre. Si c'est un empêche-
ment en efiet pour un homme et une femme de se marier ailleurs
que devant leur curé ou ministre, d'après leur religion — et c'est
le cas pour les catholiques — aucun ministre ou cuié ne peut
■être forcé de les marier. Car l'article 129o C. C. dit expressément:
aucun fonctionnaire u ne peut être contraint à célébrer un mariage
contre lequel il existe quelqu'empêchement, d'après les doctrines
et croyances de sa religion ». La conclusion s'impose :
Vous ne pouA'ez pas, vous protestants, forcer un prêtre à vous
nrarier pas plus que nos catholiques ne peuvent contraindre un
ministre à les marier.
h) Mais, dit-on, si le curé ou ministre ne peut pas être
contraint à procéder, d'après la loi, il reste libre de le faire, s'il le
veut, alors qu'il en est requis par les parties 1 M. Lemieux
répond ainsi à cette prétention : (( Le pouvoir de discrétion en
/( matière de droit public ne se présume pas ; il doit être donné par
<( la loi. Elle n'en a rien fait. Au contraire par la voix de ses
« rédacteurs, elle déclare qu'elle n'a voulu faire aucune innovation.
<( Pour présumer la discrétion en pareil cas, il faudrait croire que
<i le législateur a supposé que des ministres seraient tellement
<( peu respectueux des croyances, des doctrines et des maximes
<( de leurs églises, qu'ils consentiraient à célébrer des mariages
« contrairement à ces maximes et croyances. C'est l'idée con-
« traire qui s'impose. >< (Voir page 46).
D'où il faut conclure qu'il n'y pas de fonctionnaire capable de
marier indistinctement des catholiques ou des protestants. Ueitprit
de la loi ne le suppose pas.
— 79 —
Yoilà, disous-le par parenthèse et avec tout le respect que
mérite la. bonne foi de quelques-uns, voilà une considération que
plusieurs ministres protestants pourraient méditer utilement
pour le bien des individus et pour la paix de la société !
5o Enfin, M. le juge produit un cinquième et dernier ai'gument.
L'interprétation inévitable des art. 42 et 44, amendés par l'art.
5777 des Statut E. de Québec, nous amène à admettre, dit Son
Honneur, que les registres de l'état civil doivent être tenus pour
les catholiques par les curés catholiques, et pour les protestants
par leuis ministres (1). Inutile d'insister sur la conclusion qui sort
de telles prémisses, comme une fleur de sa tige, aussi naturelle-
ment et aussi aisément.
Pour établir cette proposition, M. le juge Lemieux examine le
but de cette loi de la tenue des registres. On tient des registres,
dit-il en substance, pour faciliter des recherches ; voilà pourquoi
la loi constitue et prépose aux registres ceux que leur fonction
sociale met en mesure de mieux connaître les faits à enregistrer.
C'est très simple.
La naissance 1 Le mariage 1 La sépulture 1 Ce sont là des
actes pour lesquels tous les chrétiens sincères désirent l'interven-
tion du ministre du culte. Donc, c'est ce dernier qui parait
naturellement qualifié pour tenir les registres. Si vous me mettez,
moi catholique, devant un ministre anglican ou méthodiste, tout
estimable et tout respectable qu'il peut être d'ailleurs, quelle
qualité a-t-il pour moi et vice-versa ! Qu'un malheureux catholique,
en révolte contre l'autorité de l'Eglise, aille se marier devant un
ministre protestant, cela arrive hélas ! Soit ! Mais (|ue l'esprit de
la loi le suppose, il est impossible de l'admettre.
(1) Erratum : Une erreur typographique nous a fait rendre d'une
manière incomplète le manuscrit de M. le juge : A la page 46, il faut
lire à la 17e ligne "...seront tenus par les curés catholiques, yowr /ts
catholiques, et par les ministres protestants, pour les protestants.
— 80 —
Cette explication si pleine de sens se fortifie au reste de ce que
les codificateurs de 1866 n'ont rien voulu changer, quant à cette
tenue des registres, de l'ancien état de chose. La cession l'avait
conservé cet ancien état de chose, nous l'avons vn ; il demeurait
donc. Et l'honorable juge cite fort à propos l'admission de ce fait
par le juge en chef Sewell, dans la cause ex-parte Eevd. Spratt,
en 1816.
Or, avant la cession, les curés seuls avaient qualité pour marier
les catholiques et tenir les registres de l'état civil. En outre, les
codificateurs ont déclaré qu'ils ne voulaient pas du nouveuu sys-
tème français, préposant un employé civil à la tenue de ces
registres.
Conclusion
Nous avions commencé cette étude en disant que nous ne vou-
lions que résumer le magnifique travail de l'honorable juge Le-
mieux, et notre résumé menace de s'allonger toujours. Vraiment,
il est difficile de faire autrement. On ne se résigne pas à perdre
quelque chose de cette vigoureuse argumentation qui est, à elle
seule, un mouvement d'éloquence.
Les articles du Code, conclut Son Honneur, nous enseignent
qu'il y a deux classes de fonctionnaires compétents pour marier
et tenir registres, en ce pays : les curés pour leurs paroissiens
catholiques, et les ministres de chaque dénomination religieuse
pour les adeptes de chacune d'elles. Donc, dans Vesprit de la loi
ou encore d'après les intentions manifestes des codificateurs de
186C, les catholiques, en ce \^Ays, doivent se marier devant leur
curé !
Le savant juge va passer maintenant à l'article 127 C. C, mais
auparavant sa verve oratoire réclame une considération d'un ordre
élevé qui lui permette un mouveiuent entraînant : (Voir page 60.)
c 11 y a une règle solennelle du droit public anglais, s'écrie-t-il.
— 81 —
'( qui s'énonce ainsi ; « Christianity is part and parcel of the
« common law of England ». Notre droit suppose que les hommes
« croient aux grandes vérités du christianisme, que chaque indi-
(( vidu rend à Dieu un culte chrétien... Il doit être raisonnable
» de croire que la loi, qui ne s'appuie pas seulement sur la raison
« mais qui est créée aussi d'après les sentiments innés, les dispo-
« sitions naturelles des citoyens, ait respecté les croyances de
(( chacun et lui ait permis de les exprimer sans contrainte, surtout
« dans les trois grands événements de la vie humaine : la nais-
« sance,... le mariage., et la mort ! )i
« Mais, par qui, interroge Son Honneur, par qui, frères protes-
« tants, voulez-vous que votre enfant soit baptisé et que sa nais-
« sance soit enregistrée 1 Par le ministre de votre culte, répon-
« drez-vous. Eh bien ! si vous posez à un catholique une question
<( analogue : par qui voulez-vous que votre mariage soit célébré 1
« Le catholique répondra naturellement : par mon curé n ; c'est
son droit, c'est du droit des gens !
Et le savant magistrat en déduit très justement que Vesprit
général du droit anglais ne peut pas supposer cette liberté extra-
vagante, qu'on paraissait exiger ailleurs (atiaire Delpit-Côté) en
faveur d'un individu qui, en révolte contre sa propre foi et la
doctrine qu'elle lui prêche, irait se marier devant un fonction-
naire qui n'est pas le ministre de son culte.
C'est là, en vérité, de la tolérance bien comprise. La bonne foi
de tous est ainsi respectée comme il convient, sans exagération et
sans faiblesse.
En tout cas, d'après l'interprétation de M. le juge Lemieux,
c'est là le sens de notre loi, c'est là Ve^tprit des coditicateurs de
1866.
— 82 —
4me ARTICLE
3me CONSIDÉRANT
L'article 127 du Code Civil
A la lumière des enseignements de l'histoire du droit civil en ce
pays, comme aussi d'après l'esprit des codificateurs de 1866, nous
avons vu comment M. le juge Lemieux arrive à dégager le point
qui fait l'objet de notre étude et comment il établit que, au
Canada, « les catholiques doivent se marier devant leur curé ».
Eestait le fameux article 127, qui a donné jadis quelque trouble
aux codificateurs de 1866, mais qui en définitive a été énoncé en
termes assez clairs et assez explicites.
La discussion de cet article avait été omise dans le jugement
de l'Honorable M. Archibald. Le juge Lemieux le constate sans
s'en étonner, par courtoisie sans doute. Cet article le voici : (i Les
autres empêchements, admis d'après les différentes croyances reli-
gieuses, comme résultant de la parenté ou de l'affinité et cV autres
causes, restent soumis aux règles suivies jusqu'ici dans les diver-
ses églises et sociétés religieuses. Il en est de même quant au
droit de dispenser de ces empêchements, lequel appartiendra tel
que ci-devant, à ceux qui en ont joui par le passé ».
Cet article est-il susceptible d'une double interprétation 1
Il y a lieu, pour bien comprendre la réponse négative que
donne M. le juge Lemieux, d'étudier l'histoire de la rédaction de
cet article.
Le premier rapport des codificateurs se lisait autrement : « Les
autres empêchements, était-il dit, admis d'après les différentes
croyances religieuses, comme résultant de la parenté ou de l'afiGi-
nité au degré de cousins germains et autres degrés, restent sou-
— 83 —
mis aux règles suivies jusqu'ici dans les diverses églises et sociétés
religieuses ». D'après cette rédaction, on le comprend, l'article
127 aurait limité les empêchements aux seuls empêchements de
parenté et d'affinité, à divers degrés.
Mais cette rédaction ne fut pas admise, malgré qu'elle fut dé-
fendue par le juge Day.
Deux systèmes étaient en présence : celui du juge Day n'ad-
mettant comme empêchements légaux au mariage que ceux
(admis par les églises et sociétés religieuses) résultant de la
parenté ou de l'affinité, au degré de cousins germains et autres
degrés ; et celui des autres codificateurs admettant comme empê-
chements légaux ceux (admis par les différentes croj^ances reli-
gieuses; qui résultent de la parenté et de l'affinité, et, aussi et de
de plus des autres causes...
C'est le deuxième système qui a été adopté par le Parlement,
c'est l'article 127 d'aujourd'hui.
Et le savant magistrat élabore abondamment l'argumentation
qui s'impose ! Nous n'insistons pas, car elle est trop facile à bien
saisir. « Comme conclusion, dit-il, si une Eglise prohibe et défend
'( la célébration des mariages de ses adeptes, devant un fonction-
i( naire autre que le curé ou ministre, sous peine de nullité et
« comme étant mariage clandestin, telle règle sera admise et
« respectée par la loi ». (Voir page 56).
Toute la cause Degré-Durocher et toute la fameuse cause
Delpit-Côté sont là ! On a lieu d'être étonné qu'il se trouve des
gens qui ne le voient pas. Quelque grande que soit leur convic-
tion, quelque respectable que soit leur bonne foi, quelque dignes
que soient leur caractère et leur personne, il parait bien certain
que ceux-là se trompent. M. le juge Lemieux l'établit avec une
logique et un bon sens d'application qui sont, à eux seuls, une
garantie ajoutée à tant d'autres.
Le distingué magistrat, qui se sait sur un terrain brûlant et
qui veut jusqu'au bout traiter ses honorables contradicteurs avec
— 84 —
une courtoisie parfaite, ne s'en tient pas là. Il connaît les objec-
tions qu'on a formulées contre sa thèse et il s'arrête obligemment
à les réfuter. Essayons de le suivre et de le résumer. C'est très
instructif et très intéressant :
1ère Objection. Les empêchements créés par- les Eglises, dit-
on, sont contraires à la liberté des cultes 1 Entendons-nous,
répond Son Honneur, sur la valeur des mots. En vertu de la loi
on peut choisir son culte, passer de l'un à l'autre ; mais, quand
on a fait son choix, on doit suivre les lois et ordonnances de la
religion adoptée. C'est net et clair !
2me Objection. Ainsi entendue, dit-on encore, la loi ne per-
met pas de mariage entre un catholique et un protestant ? Pour
ce qui regarde l'Eglise catholique, explique M. le juge, la loi
n'est pas aussi absolue. L'autorité qui crée les empêchements
avait le droit « d'y apporter des restrictions, des exceptions ou
« d'en suspendre les etfets. Aussi a-t-elle permis telle union dans
(( certaines conditions et dans certains cas et après certaines dis-
(( penses ». Et M. le juge rappelle que l'Eglise catholique permet
les mariages mixtes pourvu qu'ils se fassent devant le curé de la
partie catholique. Il aurait même pu ajouter que, là où la décla-
ration hénédictine existe, l'Eglise admet comme valide un maria-
ge mixte (catholique et protestant) même s'il est célébré en de-
hors de la présence du curé de la partie catholique. Mais évidem-
ment, M. le juge n'avait pas à donner ces distinctions canoni-
ques. En ce cas sans doute il n'aurait pas dit ou fait entendre
que dans le cas des différents domiciles des futurs, l'un des deux
curés délègue son pouvoir à l'autre, ce qui n'est pas exact — pour
la bonne raison que chaque curé étant compétant vis-à-vis l'une
des parties l'est par là même ipso facto vis-à-vis l'autre.
L'honorable magistrat ne nous en voudra pas de relever cette
inexactitude canonique, laquelle d'ailleurs ne nuit en rien a la
solidité de sa réponse à l'objection précitée.
Il faut donc proclamer, d'après les allégués et conclusions de
— 85 —
l'honorable juge, que, dans l'article 127 du Code Civil, tous les
empêchements créés par l'Eglise comme dirimant le mariage,
sont admis comme annulant le mariage pour ses ettets civils.
'( Ces empêchements, termine Sou Honneur, peuvent être
« multiples ou limités, mais quels qu'ils soient ils sont reconnus
« par la loi, et voilà pourquoi l'article 127 ne peut être lu dans
'( un sens restreint et limité ! n (Voir page 59)
Enfin M. le juge Lemieux se pourvoit d'une jurisprudence des
mieux fondées. Sir L.-X. Casault, les honorables juges Jette,
Papineau, Mathieu et Bourgeois se sont tous exprimés dans le
même sens, en diverses causes, et le juge Lemieux n'a qu'à
compulser les dossiers pour mettre sa propre interprétation de
l'article 127 en illustre compagnie.
Il n'en est que plus à l'aise pour affirmer à nouveau, dans une
page superbe et éloquente, la portée morale et la haute sagesse
de la disposition légale qu'il va appliquer au cas Degré-Durocher,
nous citons cette belle page. (Voir page 63)
<i Or, nous nous demandons qu'elle est la raison d'ordre social
ou d'ordre public qui nécessite le changement d'un état de choses,
existant depuis au delà d'un siècle, et qui devrait écarter une règle
de droit qui n'a créé aucun conflit et qui semble avoir été admise
et reconnue jusqu'à présent par les dififérentes dénominations
religieuses, catholiques comme protestantes. Ce ne serait
certainement pas dans l'intérêt ou l'avancement d'aucun culte,
car il est impossible de supposer pour un instant qu'une croyance
religieuse, qui se recrute dans les rangs des citoyens éclairés et
bien pensants, se glorifierait de la célébration, par ses ministres,
de mariages de jeunes filles ravies, ou laissant subrepticement le
domicile des parents, et de jeunes gens en rupture d'autorité
paternelle, lesquels ne rechercheront pas le ministère de ce
fonctionnaire par respect pour lui ou pour sa religion, mais
parce que ce fonctionnaire se prête complaisamment à un
acte que réprouvent les parents et amis de ces jeunes gens.
— 86 —
Ces sortes d'unions d'ailleurs aboutissent toujours à des séparations
humiliantes et scandaleuses, et pour les époux et pour leurs
fomilles, comme la chose est arrivée dans presque tous les cas de
cette nature qui sont venus devant les tribunaux, entr'autres
dans les cas ci-dessus citées. »
Conclusion
Pour ces motifs donc, et appuyé sur les considérants que nous
nous sommes efforcé d'exposer clairement, l'honorable juge
Lemieux conclut à la revision du jugement Lynch et, indirecte-
ment, l'opinion publique revise aussi le jugement Archibald.
L'honorable M. Chapais, dont la compétence en ces matières
s'est récemment affirmée avec un remarquable éclat, rendant
compte du jugement Lemieux s'exprime comme suit : " Ceux qui
prendront la peine de lire au long ce travail de M. le juge
Lemieux seront tentés de dire comme nous qu'il a écrit là peut-
être la plus belle page de sa carrière ». Et le distingué publiciste
qualifie ce jugement de réparateur !
(( Ce jugement, dit de son côté la Revue Ecclésiastique de Yalley-
field, fait disparaître toute ambiguité et calme toute appréhension.»
Nous souscrivons volontiers à ces remarques qui émanent de
plumes autorisées dans l'ordre civil et dans l'ordre ecclésiastique.
Il nous est infiniment agréable d'adresser nos respectueuses
félicitations au savant légiste et au brillant orateur que M.
Lemieux a su être comme toujours, du sein même de ce Séminaire
Saint-Charles-Borromée à Sherbrooke, que l'honorable juge appe-
lait naguère « le boulevard des idées françaises et catholiques
dans les Cantons de l'Est ».
Nous entendons certes rester loyaux au drapeau qui protège
nos libertés depuis plus d'un siècle ; mais si nous voulons respec-
ter les droits acquis, nous aimons aussi à ce qu'on sache respecter
et faire respecter les nôtres ! L'honorable juge Lemieux a bien
mérité de la patrie, nous l'en félicitons cordialement et respec-
tueusement.
iT=fs: ^T" JTs. ^js. .^ .^ ^[n. *^ .^ .^J^ >^ -^
III
PIECE SUPPLEMENTAIRE
Extrait d'uue Lettre Pastorale de Sa Grandeur Mgr
Bruchési, Archevêque de Montréal, où il est
question des devoirs des catholiques
eu ce qui regarde les mariages
clandestins
Cette lettre était en date du 2 avril, et elle a été publiée dans
la Semaine religieuse de Montréal du 8 avril 1901.
Or voici comment, après une entrée en matière remarquable, au
cours de laquelle le distingué Prélat rappelle le solennel avertis-
sement de saint Paul aux Galates (c. i, v. 8) : « Si nous-même, ou
« un ange du ciel vous évangélise autrement que nous vous avons
« évangélisés, qu'il soit anathème », voici comment Mgr de Mon-
tréal continue :
«L'Eglise a reçu de son divin fondateur le pouvoir et le droit
de régler tout ce qui concerne le mariage chrétien. C'est à elle
seule qu'il appartient d'apposer au contrat-sacrement, les empê-
chements prohibants et dirimants jugés nécessaires ou utiles au
88
bien spirituel de ses membres, au fonctionnement régulier de sa
hiérarchie et de ses œuvres, à la poursuite de sa fin surnaturelle.
Ce pouvoir et ces droits, l'Eglise les a exercés depuis le temps
des apôtres jusqu'à nos jours, avec une suprême indépendance ;
elle les a courageusement maintenus, à l'encontre des dénégations
des hérétiques et des contradictions des princes. Or, sachons-le,
ce que l'Eglise a fait dans les dix-neuf siècles passés, elle conti-
nuera de le faire en ce vingtième siècle et dans les siècles à venir.
Eien ne pourra jamais la fléchir ni l'ébranler, quand il s'agira
d'affirmer et de défendre des prérogatives qu'elle tient du ciel et
dont elle n'est que la gardienne et la dépositaire.»
'(Eh bien, interrogez-la, nos très chers frères ; elle vous dira que
les mariages chrétiens, auxquels ne s'oppose aucun empêchement
canonique, sont vrais et valides, quels que puissent être, par
ailleurs, les empêchements établis par la puissance séculière.
Toutes les lois des parlements et toutes les décisions des tribu-
naux proclamant le divorce resteront sans valeur, en présence des
paroles divines que l'Eglise redit au monde : n Quod De us con-
junxit, honio non separet ; que l'homme ne sépare pas ce que Dieu
lui-même a uni. » Au contraire, il faut considérer comme nulles et
invalides les unions contractées avec un empêchement dirimant
dont l'autorité compétente n'a pas accordée la dispense, alors même
que le pouvoir civil regarderait ces unions comme valides et légi-
times. C'est là un point de doctrine qu'on ne pourrait nier sans
faire naufrage dans la foi.D
«Or, nos très chers fi-ères, parmi les empêchements dirimauts du
mariage, celui de la clandestinité se recommande particulièrement
à votre attention, et bien que vous le connaissiez déjà, puisque
vos pasteurs vous le rappellent chaque année, nous tenons à met-
tre en entier sous vos yeux le texte du décret par lequel le saint
concile de Trente l'a établi : n Quoiqu'il ne faille pas douter que
» les mariages clandestins, faits par le libre consentement des
à
— 89 —
i( parties contractantes, ne soient de vrais et valides mariages,
« tant que l'Eglise ne les a pas rendus invalides, et que, par con-
« séquent, il faille condamner, comme le saint concile les frappe
« d'anatlième, ceux qui nient que ces mariages soient vrais et
« vaKdes, et ceux qui assurent faussement que les mariages con-
« tractés par les enfants de famille sans le consentement de leurs
<( parents, sont nuls, et que les pères et les mères ont le pouvoir
'( de les rendre ou valides ou nuls : néanmoins la sainte Eglise,
« pour de très justes causes, les a toujours détestés et défendus.»
i( Mais le saint concile, s'apercevant que ces défenses sont deve-
« nues inutiles par la désobéissance des hommes ; et considérant
« les péchés énormes que causent ces mariages clandestins, sur-
« tout par rapport à ceux qui demeurent en état de damnation,
« lorsque, ayant quitté la première femme avec laquelle ils avaient
« contracté mariage en secret, ils se marient publiquement avec
« une autre, et vivent avec elle en perpétuel adultère : auquel
« désordre l'Eglise, qui ne juge pas des choses cachées, ne peut
(( apporter de remède, si elle ne recourt à quelque moyen plus
« efficace : c'est pourquoi le dit saint concile, conformément à
« celui de Latran, tenu sous Innocent III, ordonne qu'à l'avenir,
« avant que l'on contracte mariage, le propre curé des parties
« contractantes proclamera publiquement dans l'église, à la grand'-
« messe, par trois jours de fête consécutifs, les noms de ceux entre
<( qui doit être contracté le mariage. Et ces publications étant
« faites, si l'on n'y forme aucun empêchement légitime, il sera
« procédé à la célébration du mariage en face de l'Eglise, où le
« curé, après avoir interrogé l'époux et l'épouse, et avoir pris leur
'( mutuel consentement, dira : " Je vous unis ensemble par le
« lien du mariage, au nom du Père, et du Fils et du Saint-
« Esprit " ; ou bien il se servira d'autres paroles, suivant l'usage
i< reçu en chaque pays »
« Quant à ceux qui entreprendraient de contracter mariage
— 90 —
« autrement qu'en présence du curé, ou de quelque autre prêtre,
« avec permission du dit curé ou de l'ordinaire, et avec deux ou
« trois témoins : le saint concile les rend absolument inhabiles à
« contracter de la sorte, et ordonne que de tels contrats soient
« nuls et invalides, comme par le présent décret il les rend nuls
« et invalides (2). »
«Rien n'est plus clair. Par suite de ce décret célèbre, pour qu'un
mariage soit valide entre deux catholiques, dans les endroits ou
le Concile de Trente a été publié, il faut la présence du propre
curé et de deux témoins. Quelles que soient donc les dispositions
des lois civiles à ce sujet, un mariage célébré devant un prêtre
qui n'est pas le curé de l'une au moins des parties contractantes,
ou un prêtre délégué par le curé ou l'Ordinaire, est nul de plein
droit. A plus forte raison en serait-il 'ainsi, si le mariage avait
lieu devant un simple officier civil ou un ministre protestant. En
cette matière, qu'on le remarque bien, la bonne ou la mauvaise
foi n'est pour rien.
«Xous avions cru jusqu'à présent, nous appuyant sur l'autorité
d'hommes éminents qui ont été ou sont encore l'honneur de notre
barreau et de notre magistrature, que dans la Province de Québec,
l'empêchement de clandestinité était reconnu par notre législa-
tion aussi bien que les autres empêchements établis par l'Eglise.
Un jugement rendu par la Cour supérieure à Montréal vient
d'affirmer le contraire, et, en dépit des décisions judiciaires don-
nées plusieurs fois déjà sur cette grave question, reconnaît comme
valide, aux yeux de l'autorité civile, le mariage de deux catho-
liques célébré àewint toute j^ersonne autorisée par la loi à tenir des
registres de mariage.»
((Sans entrer dans l'appréciation de ce jugement au point de vue
de la légalité, ce qui est du ressort des tribunaux civils de notre
(2) Réf. matr., ses», xxiv, c. i.
— 91 —
pays et de l'Enipire, nous nous croyons obligé de déclarer solen-
nellement <iu'il ne peut en rien amoindrir ou modifier les obliga-
tions des catholiques, au for extérieur ni au for intérieur de la
conscience. S'il était vrai que notre législation matrimoniale fût
incomplète ou défectueuse sur ce point particulier, comme elle
l'est sur quelques autres, le mal, ce nous semble, ne serait pas
sans remède, et il n'en demeure pas moins certain qu'ici, pour les
catholiques, le mariage clandestin est toujours nul et invalide.n
((L'Eglise, vous le savez, nos très chers frères, prononce la peine
de l'excommunication contre ceux de ses membres qui osent con-
tracter mariage devant un ministre hérétique, qu'il s'agisse de
deux catholiques ou d'une partie catholique et d'une partie pro-
testante. C'est pourquoi, afin de contre-balancer, dans la mesure
de notre pouvoir, l'effet que pourraient jamais produire parmi les
fidèles de notre diocèse les sentences des tribunaux civils, si ces
sentences étaient en opposition avec le dogme et la discipline de
l'Eglise, nous vous rappelons aujourd'hui ces peines sévères.
Nous déclarons, en outre, nous réserver à nous seul et à notre
vicaire général le droit d'absoudre ceux qui se rendraient coupa-
bles d'une pareille faute. »
Il ne nous appartient pas d'ajouter une seule ligne à cet exposé,
si clair et si substantiel de la doctrine de l'Eglise.
Nous a.vons cru rendre service à nos compatriotes instruits en
mettant cette pièce supplémentaire dans notre court volume.
En se souvenant que cette belle page doctrinale a été écrite
au lendemain du jugement Archibald, auquel, il est facile de le
remarquer, le dlctum Lemieux répond indirectement, tous les
catholiques ne pourront s'empêcher de conclure, comme nous le
faisions, en terminant naguère nos articles analytiques, « L'ho-
norable juge Lemieux a bien mérité de la patrie, nous l'en félici-
tons cordialement et respectueusement ».
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PAGES
Avis au lecteur 6
I - DICTUM DU JUGE LEMIEUX
Exposé des faits 10
Question préliminaire :
Mariage clandestin 11
Fraude à la loi peut-elle être ratifiée 12
Art. 161 C. C. (La possession d'état erapêclie de deman-
der la nullité de l'acte mais non pas la nullité du mariage). 17
Principale question :
Le mariage doit-il être célébré devant le curé des parties 21
lo Histoire de la législation', lors de la Cession 23
Conséquence de la Cession 25
— 94 —
PAGKS
L'acte de Québec 27
Législation de 1840 30
L'acte de la Confédération 30
Le sentiment anglais vs la conservation des lois
françaises 33
Jugement du Juge 8ewel 34
Prétention nouvelle 36
2o Règles relatives au mariage d'aprÈ'* le code civil... 39
Le but des codificateurs (Prévenir les mariages
clandestins ) 40
Le curé ou ministre bien placé pour aider la loi 41
Les publications par le curé 43
A quel fonctionnaire se doit signifier l'opposition au
mariage 1 44
L'art. 129 ne suppose pas la liberté de se marier devant
n'importe quel fonctionnaire 45
Ce qu'il ressort de la loi pour la tenue des registres de
l'état civil 46
Opinion du Juge Sewel 47
Opinion des codificateurs 49
Règle solennelle du droit public anglais 50
Conclusion 52
3o Interprétation de l'art. 127 C. C 52
Discussion de l'article 53
Les deux systèmes de rédaction soumis au Parlement... 55
— 95 —
PAGES
Conclusion 56
1ère objection : Ce serait contraire à la liberté des
cultes 1 Réponse 57
2e objection : Les mariages mixtes (c'est-à-dire : ma-
riages d'un protestant avec un catholique.) Réponse... 58
Rapprochement des articles 129 et 134 avec
l'article 127 C. C 59
Jurisprudence 59
Opinion de Son Honneur Sir L.-N. Casault 60
Autres opinions 62
Cause Lussier vs Archambeault 62
Y a-t-il une raison de changer 1 Non 63
Conclusion du dictum 63
II - CONSIDÉRANTS DU JUGE LEMIEUX
1er Article
Avant-Propos 65
2e Article
\er Considérant : L'esprit général de notre Droit Civil dès
avant la cession jusqu'à l'adoption du Code Civil 69
3e Article
2me Considérant : L'esprit des codificateurs de 1866 75
4e Article
3me Considérant : L'article 127 du Code Civil 82
— 06 —
PAGES
III - PIÈCE SUPPLÉMENTAIRE
Extrait d'une Lettre Pastorale de Mgr l'arclievêque de
Montréal à propos du mariage clandestin 87
Table des MATii-:REs 92
^^^^^
1
La ZlbLLoth^-qua
Université d'Ottawa
Echéance
Tkd LlbX(Viy
University of Ottawa
Date Due
4i^um
'J !
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