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Full text of "Motion d'ordre faite par Héard sur la poursuite des traîtres et des dilapidateurs : séance du 18 messidor an 7."

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combaUant pour la liberté ; faire descendre vos regards 
encore attristés sur Fabyrae profond où la République 
étoit sur le point d’être engloutie par les trahisons , les 
vols de tout genre , Fabus des pouvoirs usurpés sur le 
peuple, sur vous-mêmes ; vous représenter la consti- 
tution française méconnue , outragée : ce seroit , repré- 
sentans du peuple , un tableau trop déchirant pour vos 
âmes sensibles ; je ne viens point renouveler des plaies 
qui sont loin d’être cicatrisées. 

Il ne faut cependant pas s’abuser sur la maladie qui 
dévore le corps politique ; elle affoiblit insensiblement 
le courage, perd l’esprit public , et vous ne sauriez trop 
vous hâter , citoyens représentans, d’arrêter le mal dans 
sa source. Plus d’pne fois des hommes infiniment éclairés 
vous ont fait sentir à ce/te tribune la nécessité d’une 
promnte guérison , la nécessité sur-tout d’appliquer le 
Uritable remède ; car une maladie , quelcjue légère 
qu’elle soit , devient en peu de temps incurable , si elle 
est mal traitée ou négligée. 

En renversant les triumvirs, vous avez acquis de nou- 
veaux droits à la confiance des Français ; mais croyez- 
vous avoir rempli tous les devoirs que le caractère au- 
guste de mandataires d’un grand peuple vous impose ? 

Vous avez proclamé à cette tribune que les revers 
qu’éprouvent nos armées , les assassinats qui se commet- 
1 mt dans les départemens du Midi et de l’Ouest , la dé- 
ismüon de nos jeunes conscrits , la pénurie des armes et 
des vivres , le déficit qui donne lieu à un emprunt de 
cent millions , procédoient des friponneries , des dila- 
pidations énormes commises par Scherer et ses complices ÿ 
lorsque vous avez dit encore que les plaies profondes 
faites à h République étoiênt l’effet de la trahison et de 
Fmeptie de trois directeurs y que la guerre des chouans, 
nuise réorganise , étoit une suite nécessaire de cette même^ 
trahison : croyez-vous encore, dis-je, avoir assez fait 
pour la patrie ? Non , représeaUnô du peuple , il ne 


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sufEt pas d’avoir eu le courage de faire ccnnoître à la 
Répjiblique entière les hommes qui J’ont trahie , ceux 
qui se sont engr^^és des sacrifices et des .‘^ueurs du peu- 
ple ; ii faut encore les livrer à la justice. Quoi! un mal- 
heureux , pressé par la faim , aura pris sur un marclio 
public un pain pour alimenter sa famiÜe , la justice s’em- 
pressera de poursuivre , de condamner cet infortuné à 
la détention et à une peine plus horrible e more , à deux 
heures d’exposition sur un échafaud : et les lois seroieiit 
impuissantes , la justice sans action pour punir les traî-^ 
très et les sangsues du peuple ! Non , citoyens représen- 
tans , jamais une semblable injustice ne souillera vos 
consciences • • • . ! 

Le oo prairial a sauvé encore une fois la République ; 
craignons qu’il ne devienne en tout semblabldau i8 fruc- 
tidor , qui n’a rendu aux républicains une vie nouvelle 
que pour les livrer avec plus de sécurité aux fureurs du' 
despotisme , pour les priver de leurs représentans , de 
leurs fonctionnaires honteusement destitués , et en der- 
nière analyse livrés aux poignards des assassins. 

Un motif puissant de poursuivre les traîtres ^ tels qu’ils 
soient, quelque part qu’ils se trouvent , naît encore d’un 
projet de résolution qui vous a été présenté par notre 
collègue Pouilain Grandprey. Quoi ! représentans du 
peuple , de malheureux républicains , pères de ncm- 
brenses familles, impasés au rôle foncier pour une somme 
de deux cents francs paieront ( car tous veulent sauver la. 
République et ses défenseurs ) , paieront, dis-je > une 
.somme d’emprunt forcé , la seule peut-être destinée à 
la nouriiture de leurs enfans ; de malheureux fonction- 
naires publics dans les dcparteraens verront diminuer 
le d’un travail opiniâtre et incessant , fruit qui de- 
vroit etre sacré , et tpie nulle circonstanc'e ne devroit 
atteindre , parce qu’elle est leur subsistance et la base de 
leurs engagemens ; vons-mémes , représ^entans du peu- 
ple, éloignés da votre famille, de vos biens dégradés^ 


4 . 

dilapidés par votre absence , vous vous réduirez au be- 
soin pour sauver encore une fois la patrie ; et des traî- 
tres , des fripons , des sangsues publiques échapperoient 
à la vengeance des lois ! Vous garderiez un criminel 
^silence , quand le peuple français, qui vous offre le fruit 
de ses travaus: , ses bras , son sang pour la défense de la 
liberté , vous demande vengeance des traîtres et des 
fripons ! 

Après avoir montré un courage digne de Votre carac- 
tère ; après avoir arraché des mains des traîtres les rênes 
dhm pouvoir usurpé , achevez votre tache ; poursuive?? 
les honimes pervers 5 ressaisissez , par un séquestre , la 
fortune publique, la sueur des malheureux indignement 
enlevée, et ne souffrez pas qu’elle devienne le prix de 
tant de forfaits, • » • 

Il semble , représentans du peuple 5 que , depuis Fa- 
néanticsement des triumvirs , leur ombre erre encore 
dans cette enceinte pour nous imposer silence , et qu’a’* 
près avoir eu le courage de les renverser , nous crai- 
gnons aujourd’hui de ie§ livrer à la vengêance des 
lois. 

Mais si ces borame^ perfides sont dans l’impuissance 
de nuire pour Favenir , il n’en est pas moins vrai que 
leurs projets parricidos s’exécutent journenement ; que_, 
malgré leur cliûte , nos places sont livrées , la guerre 
civile fomentée, et les assassinats des ré publjcains mul- 
tipliés. Décadi dernier , des conscrils s’étanl rendus à 
Saintes pour être organisés en hataillons , Fun d’eux a 
été assassiné sur le quai par des brigands qui deman- 
dent l’aumône avec menaces , et voyagent sans passe- 
ports, Tous ces malheurs , sans doute , sont l’effet de^ 
rapports avec Fctrangcr , des agens fidèles des trium^ 
vira , qui , rassurés par la tranquillité et la liberté dont 
joinssent leurs maîtres au milieu de leurs trésors usur- 
pés 5 les servent avec ardeur , dans la douce idée que 
î’impMwité doit assur,er le triomphe de leurs projets,. 


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C’est encore unüéau pour la République de voir dan»- 
les autorités constituées , non-seulement des intrus qui 
ont ravi la place des républicains sous le régime Merlin , 
mais même encore de voir en place des fonctionnaires 
dénoncés depuis long-temps an Directoire , et flétris par 
Topiriion publique. 

Législateurs , vous avez été grands , généreux , in- 
trépides ; cela ne suffit pas : il faut encore être justes. 
Notre charte sacrée , en rendant tous les hommes égaux 
aux yeux de la loi , soit qu'elle protège , svit qu’eli© 
punisse , vous impose le devoir de provoquer la mise eh 
jugement des traîtres et des dilapidât eu rs : la corrup- 
tion n’a déjà que trop enfanté des fortunes insultantes, 
craignez que, comme à Rome , elles ne soient la chiite 
de la République. 

La France , législateurs , a l’œil tendu sur vous de 
toutes parts , et chaque jour vous recevez de son sein 
des adresses qui honorent votre fermeté , votre courage; 
forcez -là aussi d’admirer votre justice. 

Vous aviez décrété des sommes considérables pour 
réparer les friponneries , et pour mettre nos troupes a 
même de reprendre celte attitude imposante qui chassa 
de leur territoire les têtes couronnées, rendit la liberté 
à l’ancienne Rome ; décrétez aussi des actes d’accus^- 
sion contre les traîtres et les sangsues publiques : voilà 
le moyen de faire payer promptement l’emprunt forcé , 
de relever l’esprit public de vous attacher par des 
liens indissolubles la France entière , et. de la lever en 
masse si des circonstances malheureuses i’exigeQient. 

La mise en jugement de ces hommes perfides est donc 
pour vous un devoir : c’est le cri de tous les Français. 
Cette mesure , qui tient aux principes de la jiisticè , est 
aussi une arme puissante à oppo.ser aux tyrsns coalisés ? 
convaincus de la sévérité de la justice nationale , l’or 
de3 nations ennemies ne viendra plus attaquer la foi- 


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blesse de quelques hommes indignes du nom français ; 
et, s’ils étoient assez lâches pour se laisser corrompre, 
la peine constamment assise à coté du crime les feroit 
reculer d’épouvante. 

Je demande que la commission des cinq , chargée de 
recueillir les faits relatifs aux traîtres et aux dilapida»* 
teurs, fasse son rapport primidi prochain. 



A PARIS , DE L’IMPRIMERIE îiATIONALE, 

Messidor an 7-