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combaUant pour la liberté ; faire descendre vos regards
encore attristés sur Fabyrae profond où la République
étoit sur le point d’être engloutie par les trahisons , les
vols de tout genre , Fabus des pouvoirs usurpés sur le
peuple, sur vous-mêmes ; vous représenter la consti-
tution française méconnue , outragée : ce seroit , repré-
sentans du peuple , un tableau trop déchirant pour vos
âmes sensibles ; je ne viens point renouveler des plaies
qui sont loin d’être cicatrisées.
Il ne faut cependant pas s’abuser sur la maladie qui
dévore le corps politique ; elle affoiblit insensiblement
le courage, perd l’esprit public , et vous ne sauriez trop
vous hâter , citoyens représentans, d’arrêter le mal dans
sa source. Plus d’pne fois des hommes infiniment éclairés
vous ont fait sentir à ce/te tribune la nécessité d’une
promnte guérison , la nécessité sur-tout d’appliquer le
Uritable remède ; car une maladie , quelcjue légère
qu’elle soit , devient en peu de temps incurable , si elle
est mal traitée ou négligée.
En renversant les triumvirs, vous avez acquis de nou-
veaux droits à la confiance des Français ; mais croyez-
vous avoir rempli tous les devoirs que le caractère au-
guste de mandataires d’un grand peuple vous impose ?
Vous avez proclamé à cette tribune que les revers
qu’éprouvent nos armées , les assassinats qui se commet-
1 mt dans les départemens du Midi et de l’Ouest , la dé-
ismüon de nos jeunes conscrits , la pénurie des armes et
des vivres , le déficit qui donne lieu à un emprunt de
cent millions , procédoient des friponneries , des dila-
pidations énormes commises par Scherer et ses complices ÿ
lorsque vous avez dit encore que les plaies profondes
faites à h République étoiênt l’effet de la trahison et de
Fmeptie de trois directeurs y que la guerre des chouans,
nuise réorganise , étoit une suite nécessaire de cette même^
trahison : croyez-vous encore, dis-je, avoir assez fait
pour la patrie ? Non , représeaUnô du peuple , il ne
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sufEt pas d’avoir eu le courage de faire ccnnoître à la
Répjiblique entière les hommes qui J’ont trahie , ceux
qui se sont engr^^és des sacrifices et des .‘^ueurs du peu-
ple ; ii faut encore les livrer à la justice. Quoi! un mal-
heureux , pressé par la faim , aura pris sur un marclio
public un pain pour alimenter sa famiÜe , la justice s’em-
pressera de poursuivre , de condamner cet infortuné à
la détention et à une peine plus horrible e more , à deux
heures d’exposition sur un échafaud : et les lois seroieiit
impuissantes , la justice sans action pour punir les traî-^
très et les sangsues du peuple ! Non , citoyens représen-
tans , jamais une semblable injustice ne souillera vos
consciences • • • . !
Le oo prairial a sauvé encore une fois la République ;
craignons qu’il ne devienne en tout semblabldau i8 fruc-
tidor , qui n’a rendu aux républicains une vie nouvelle
que pour les livrer avec plus de sécurité aux fureurs du'
despotisme , pour les priver de leurs représentans , de
leurs fonctionnaires honteusement destitués , et en der-
nière analyse livrés aux poignards des assassins.
Un motif puissant de poursuivre les traîtres ^ tels qu’ils
soient, quelque part qu’ils se trouvent , naît encore d’un
projet de résolution qui vous a été présenté par notre
collègue Pouilain Grandprey. Quoi ! représentans du
peuple , de malheureux républicains , pères de ncm-
brenses familles, impasés au rôle foncier pour une somme
de deux cents francs paieront ( car tous veulent sauver la.
République et ses défenseurs ) , paieront, dis-je > une
.somme d’emprunt forcé , la seule peut-être destinée à
la nouriiture de leurs enfans ; de malheureux fonction-
naires publics dans les dcparteraens verront diminuer
le d’un travail opiniâtre et incessant , fruit qui de-
vroit etre sacré , et tpie nulle circonstanc'e ne devroit
atteindre , parce qu’elle est leur subsistance et la base de
leurs engagemens ; vons-mémes , représ^entans du peu-
ple, éloignés da votre famille, de vos biens dégradés^
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dilapidés par votre absence , vous vous réduirez au be-
soin pour sauver encore une fois la patrie ; et des traî-
tres , des fripons , des sangsues publiques échapperoient
à la vengeance des lois ! Vous garderiez un criminel
^silence , quand le peuple français, qui vous offre le fruit
de ses travaus: , ses bras , son sang pour la défense de la
liberté , vous demande vengeance des traîtres et des
fripons !
Après avoir montré un courage digne de Votre carac-
tère ; après avoir arraché des mains des traîtres les rênes
dhm pouvoir usurpé , achevez votre tache ; poursuive??
les honimes pervers 5 ressaisissez , par un séquestre , la
fortune publique, la sueur des malheureux indignement
enlevée, et ne souffrez pas qu’elle devienne le prix de
tant de forfaits, • » •
Il semble , représentans du peuple 5 que , depuis Fa-
néanticsement des triumvirs , leur ombre erre encore
dans cette enceinte pour nous imposer silence , et qu’a’*
près avoir eu le courage de les renverser , nous crai-
gnons aujourd’hui de ie§ livrer à la vengêance des
lois.
Mais si ces borame^ perfides sont dans l’impuissance
de nuire pour Favenir , il n’en est pas moins vrai que
leurs projets parricidos s’exécutent journenement ; que_,
malgré leur cliûte , nos places sont livrées , la guerre
civile fomentée, et les assassinats des ré publjcains mul-
tipliés. Décadi dernier , des conscrils s’étanl rendus à
Saintes pour être organisés en hataillons , Fun d’eux a
été assassiné sur le quai par des brigands qui deman-
dent l’aumône avec menaces , et voyagent sans passe-
ports, Tous ces malheurs , sans doute , sont l’effet de^
rapports avec Fctrangcr , des agens fidèles des trium^
vira , qui , rassurés par la tranquillité et la liberté dont
joinssent leurs maîtres au milieu de leurs trésors usur-
pés 5 les servent avec ardeur , dans la douce idée que
î’impMwité doit assur,er le triomphe de leurs projets,.
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C’est encore unüéau pour la République de voir dan»-
les autorités constituées , non-seulement des intrus qui
ont ravi la place des républicains sous le régime Merlin ,
mais même encore de voir en place des fonctionnaires
dénoncés depuis long-temps an Directoire , et flétris par
Topiriion publique.
Législateurs , vous avez été grands , généreux , in-
trépides ; cela ne suffit pas : il faut encore être justes.
Notre charte sacrée , en rendant tous les hommes égaux
aux yeux de la loi , soit qu'elle protège , svit qu’eli©
punisse , vous impose le devoir de provoquer la mise eh
jugement des traîtres et des dilapidât eu rs : la corrup-
tion n’a déjà que trop enfanté des fortunes insultantes,
craignez que, comme à Rome , elles ne soient la chiite
de la République.
La France , législateurs , a l’œil tendu sur vous de
toutes parts , et chaque jour vous recevez de son sein
des adresses qui honorent votre fermeté , votre courage;
forcez -là aussi d’admirer votre justice.
Vous aviez décrété des sommes considérables pour
réparer les friponneries , et pour mettre nos troupes a
même de reprendre celte attitude imposante qui chassa
de leur territoire les têtes couronnées, rendit la liberté
à l’ancienne Rome ; décrétez aussi des actes d’accus^-
sion contre les traîtres et les sangsues publiques : voilà
le moyen de faire payer promptement l’emprunt forcé ,
de relever l’esprit public de vous attacher par des
liens indissolubles la France entière , et. de la lever en
masse si des circonstances malheureuses i’exigeQient.
La mise en jugement de ces hommes perfides est donc
pour vous un devoir : c’est le cri de tous les Français.
Cette mesure , qui tient aux principes de la jiisticè , est
aussi une arme puissante à oppo.ser aux tyrsns coalisés ?
convaincus de la sévérité de la justice nationale , l’or
de3 nations ennemies ne viendra plus attaquer la foi-
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blesse de quelques hommes indignes du nom français ;
et, s’ils étoient assez lâches pour se laisser corrompre,
la peine constamment assise à coté du crime les feroit
reculer d’épouvante.
Je demande que la commission des cinq , chargée de
recueillir les faits relatifs aux traîtres et aux dilapida»*
teurs, fasse son rapport primidi prochain.
A PARIS , DE L’IMPRIMERIE îiATIONALE,
Messidor an 7-